Voici la deuxième partie de mon article sur le rôle de Toshio Suzuki aux premières heures du magazine Animage. Cette fois, j’évoque le premier contact qu’il a obtenu avec Isao Takahata et Hayao Miyazaki pour préparer un dossier sur Hols, le prince du soleil. N’hésitez pas à relire l’article précédent si nécessaire en cliquant… sur cette phrase

© Hayao Miyazaki, Nausicaä de la vallée du vent, Tokuma Shoten Toshio Suzuki et le magazine Anima

Un premier contact avec Isao Takahata et Hayao Miyazaki

A Terebi Land, Toshio Suzuki s’occupe principalement de la partie manga. Et son refus vient du fait qu’il n’y connait absolument rien à l’animation (oui, on parle bien d’un des futurs plus grands producteurs de film d’animation du Japon !). Mais cela n’arrête pas Hideo Ogata pour autant. Ce dernier lui explique qu’il souhaite monter un magazine pour enfants intelligents, donc avec des articles plus fournis qu’à Terebi Land, que son fils aime les séries d’animation, et en particulier Yamato, qu’il sera en charge d’à peu près tout (même si il n’est pas rédacteur en chef au début), et qu’il peut le présenter à plusieurs amatrices d’animation pour en apprendre davantage sur ce type de média. Finalement, Suzuki accepte. Mais, ironie du sort, il n’a que trois semaines pour boucler un premier jet du magazine ! Sans perdre de temps, il part à la rencontre des femmes qui se révèlent être des amatrices éclairées. Celles-ci lui parlent d’Astroboy et de Hols, prince du soleil avec nombre de détails, et qu’elles se rendent souvent à la rencontre des créateurs de leurs personnages favoris. C’est d’ailleurs ces dernières qui incitent Suzuki à se pencher sur le film d’Isao Takahata. Et il décide d’en faire l’objet d’un de ses premiers dossiers pour le premier numéro d’Animage.

Mais comment faire ? Car même si il devine qu’il peut récupérer des informations et des images auprès du studio Tôei Dôga, il ne peut pas interviewer les personnages comme on peut le faire pour un film en prises de vues réelles.
De fil en aiguille, Suzuki finit par téléphoner à Isao Takahata. Mais bien que ce dernier soit le réalisateur de Hols, il l’invite à en discuter avec Miyazaki.

« J’ai entendu votre conversation. C’est moi qui ferais l’interview. Mais en échange, j’aimerais obtenir seize pages au lieu de huit. Pour vous parler de ce film, je dois évoquer en détail nos activités syndicales, sinon je ne pourrais pas transmettre tout ce que j’ai à dire. » (Hayao Miyazaki, Ghibli no kyôkasho 1 Kaze no tani no Nausicaä, p.47.)

Malheureusement, la requête de Miyazaki est hors de portée pour Suzuki. Ce premier contact est un véritable échec. Il se résigne et décide de récupérer des commentaires auprès de trois comédiens de doublage. Néanmoins, après une heure de discussion, la manière de parler de Miyazaki, d’évoquer les choses, tout cela l’intrigue. De plus, quand il assiste à une projection de Hols, il découvre à sa grande surprise que même si l’histoire se passe dans les pays scandinaves, le fond et les propos lui rappelle ce qu’il s’est passé au Vietnam. Mais finalement, le premier dossier Anime Encore du tout premier Animage ne s’en tient qu’à un résumé illustré du film, quelques lignes de commentaires et plusieurs croquis originaux.

Durant les premières semaines, le magazine s’écoule à 70000 exemplaires, avant de grimper très rapidement à 250000. Un tel chiffre permet à Animage de ne plus être qu’un supplément de Terebi Land, mais un magazine à part entière, et ce dès son troisième numéro.

Voila, vous en savez désormais à peu plus sur Toshio Suzuki avant qu’il ne devienne le fameux producteur du studio Ghibli, mais aussi comment le magazine Animage a été créé. Bien sûr, jusqu’aux premières idées de Nausicaä, bien des choses se passent. Comme la première rencontre entre Suzuki et les deux compères, les liens qui se créent entre eux, et leur implication de plus en plus importante dans le magazine Animage. Mais comme tout cela se rapporte à la production de Kié la petite peste et du Château de Cagliostro, je n’en parlerai pas dans cette série d’articles. Ce qui nous intéresse ici est Nausicaä, mais le chemin à parcourir est encore semé d’embûches.

Dans l’épisode précédent : Nausicaä : Toshio Suzuki et le magazine Animage (1)

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Bibliographie

  1. ジブリの教科書1 風の谷のナウシカ (Ghibli no kyôkasho 1 Kaze no tani no Nausicaä), Bunshun Ghibli Bunko, 10 avril 2013, 319p.
  2. アニメアンコール (Anime Encore (Animage #1)), Toshio SUZUKI, Tokuma Shoten, 1978.
  3. あの旗を撃て!「アニメージュ」血風録 (Ano hata wo ute! Animage keppuroku), Hideo OGATA, Oakla Shuppan, 2004.
  4. Dans le Studio Ghibli – Travailler en s’amusant, Toshio SUZUKI, Kana, 20 octobre 2011, 226p.

La couverture d’Animage est © Tokuma Shoten. L’affiche de Hols est © Tôei Dôga.

Nausicaä de la vallée du vent sort dans les salles obscures japonaises le 11 mars 1984. A la grande surprise de son réalisateur, Hayao Miyazaki, le film est un succès, tant et si bien qu’il permet d’aboutir à la fondation d’une structure qui deviendra peu à peu gigantesque : le studio Ghibli. Pour autant, Nausicaä n’est pas une production Ghibli, mais de Topcraft, un autre studio qui avait tout pour conquérir le monde.

© Hayao Miyazaki, Nausicaä de la vallée du vent, Tokuma Shoten Toshio Suzuki et le magazine Animage.

Pour bien comprendre la création de Nausicäa, il est d’abord nécessaire de connaître deux-trois petites choses qui vont permettre à Miyazaki d’arriver à songer à Nausicaä. Rien n’arrive vraiment au hasard dans ce milieu, et c’est en emboîtant ces petits éléments qu’un film d’envergure comme celui-ci voit le jour. De là, je dois donc présenter en premier Toshio Suzuki et son rôle dans le magazine Animage.

Magazine Animage de Janvier 1981, © Tokuma Shoten

Animage est un magazine spécialisé en animation édité par la maison d’édition Tokuma Shoten où on peut y lire l’actualité des dernières séries et des films, des dossiers et des interviews (n’hésite pas à cliquer ici pour voir le contenu d’un numéro !). En France, je pense qu’on peut le comparer à Animeland ou bien à Coyote Mag. Mais il a deux particularités majeures. La première, le magazine propose aussi du manga. Et la deuxième, la présence de Toshio Suzuki.

Si son nom vous dit quelque chose, c’est sans doute parce qu’il est l’actuel grand producteur du studio Ghibli. Mais avant cela, il est principalement rédacteur pour Tokuma Shoten. Mais alors, quel est le rapport entre Suzuki et Nausicaä ? Miyazaki aurait dit un jour que Ghibli n’aurait jamais pu venir au monde sans Toshio Suzuki (j’aime beaucoup, mais je ne trouve pas la source de cette phrase soi-disant célèbre). En somme, cette personne est très très importante en devenant un maillon entre Animage, Nausicaä et le studio Ghibli, et je vais donc vous raconter un peu son parcours chez Tokuma Shoten dans un premier temps, et son rôle aux premières heures d’Animage dans un second.

Toshio Suzuki est né en 1948 à Nagoya. Et, c’est tout… Soit je ne suis pas encore tombé sur un livre qui parle de sa jeunesse (il me semble que si, mais dans ce cas j’y reviendrai), soit il n’en a rien écrit nulle part, mais je ne peux que commencer à parler de lui qu’à partir de 1972, l’année où il sort de l’Université Keiô avec un diplôme de littérature en poche.

Magazine Comic&Comic N°7 (1973) © Tokuma Shoten

Donc, à partir de 1972, il commence à travailler pour le magazine d’art et de divertissement Asahi Geinô où il couvre l’actualité du manga, et même la page astrologie. Peu de temps après, il devient rédacteur en chef d’un supplément du magazine, le Comic & Comic (illustration à droite). C’était un magazine de prépublication de manga érotique. Sa publication ne dure qu’un an, mais elle permet à Suzuki de rencontrer plusieurs grands noms du manga comme Osamu Tezuka, Shôtarô Ishinomori, ou encore Kazuo Kamimura. Finalement, après l’arrêt de sa publication, il retourne travailler pour Asahi Geinô, mais cette fois en touchant à des sujets de fond, comme les bôsôzoku et les kamikazé. Il parle de cette histoire dans le livre Dans le studio Ghibli, travailler en s’amusant, édité en France par Kana au début des années 2010. Je le recommande chaudement. Les sujets que Suzuki traite sont un peu tendus car lui et ses amis vont à la rencontre des personnalités et ont parfois eu affaire aux yakusas et aux policiers. Quelque part, on peut voir Suzuki comme un Hunter S. Thompson japonais. Dans le livre Ghibli no kyôkasho dédié à Nausicaä, il raconte même qu’un de ses collègues est revenu dans les bureaux avec le visage ensanglanté et à écrit son article ainsi… Donc, quand en 1975 on lui offre le poste de rédacteur pour le magazine Terebi Land, c’est pour lui comme un soulagement.

Terebi Land, c’est l’ancêtre d’Animage, en moins spécialisé et plus grand public (un peu comme Animage de nos jours, finalement). Le magazine a été créé en 1973 pour couvrir l’actualité de l’animation et du tokusatsu, mais sans aller au fond des choses. Cela suffit à l’époque. Du moins, tout le monde pense que cela suffit car il se vend bien. Mais en parallèle, une série d’animation est peu à peu en train de changer la donne dans le décors visuel japonais. Elle s’appelle Uchû Senkan Yamato (Yamato, le cuirassé de l’espace). Dans un premier temps, la série ne marche pas bien, le taux d’audience est bas, si bas que la série s’achève en 26 épisodes au lieu de 39. Bref, personne ne se doute de rien. Pourtant, les fans de la série se rassemblent. Ils se rassemblent dans les conventions de science-fiction, puis au Comiket dont le premier événement a lieu en 1975. Et finalement, le Japon assiste à la naissance d’un premier mouvement pour l’animation japonaise. En août 1977, le premier film de Yamato sort au cinéma et accueille des files de spectateurs comme jamais vu jusque là pour un film d’animation.

Un cinéma qui diffuse le film de Yamato à Ginza en 1977. Photo © Shizuka Inoué

A ce moment-là, l’équipe de Terebi Land et son rédacteur en chef Hideo Ogata crée un supplément centré sur Yamato. C’est le premier numéro de la collection Roman Album. Dedans on y trouve de nombreux détails sur la production de la série avec des centaines de croquis originaux et quelques commentaires de la part des créateurs. Grâce à l’engouement des fans, ce numéro s’écoule à 400 000 exemplaires. Le succès est retentissant. Ce succès, il donne des idées à Hideo Ogata qui propose à Tokuma Shoten de lancer un nouveau mensuel spécialisé en animation pour enfants intelligents : Animage. Là, il fait appel à Toshio Suzuki, mais il refuse aussitôt…
Dans le prochain épisode : Nausicaä : Toshio Suzuki et le magazine Animage (2)

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Bibliographie
ジブリの教科書1 風の谷のナウシカ (Ghibli no kyôkasho 1 Kaze no tani no Nausicaä), Bunshun Ghibli Bunko, 10 avril 2013, 319p.
Dans le Studio Ghibli – Travailler en s’amusant, Toshio SUZUKI, Kana, 20 octobre 2011, 226p.

Ressources en ligne
https://ruhiginoue.exblog.jp/28029648/ (どうもありがとうございます!)

Les couvertures d’Animage et de Comic & Comic sont © Tokuma Shoten.