Nouvelle influence de la SF occidentale dans le développement de la Hard SF japonaise des années 1950-60
Que savons-nous du développement de la science-fiction au Japon si on s’écarte un peu du cadre du manga et de l’animation ? Au départ, je partais pour développer un paragraphe ou deux sur le manga de SF en 1955, mais l’une de mes ressources m’a fait découvrir une nouvelle vague de traductions de romans de science-fiction occidentaux qui a précisément commencé cette année-là.

La première du genre avait eu lieu une dizaine d’années après la réouverture de Meiji, avec la traduction des romans de Jules Verne. Cette vague a permis d’aboutir aux premiers récits d’aventure scientifique (le genre SF s’appelait alors kagaku – science ou kagaku bôken – aventure scientifique) avec, entre autres, les publications de Kaitô Bôken Kidan: Kaitei Gunkan (et ses suites), par Shunrô Oshikawa. Il y a peut-être eu d’autres intérêts pour la science-fiction occidentale, mais je n’arrive pas encore à mettre le doigt dessus à l’heure qu’il est.
Sans parler des traductions, la vague SF qui précède celle de 1955~65 a eu lieu entre 1947 et 1949, années durant lesquelles on découvre les premières histoires de science-fiction de Osamu Tezuka, le célèbre e-monogatari Tokyo SOS avec les illustrations Shigeru Komatsuzaki, puis Sabaku no Maô par Tetsuji Fukushima, et enfin le renouveau d’Ôgon Bat en manga par Takao Nagamatsu. A cela s’ajoute une explosion de romans japonais que je n’arrive pas tellement à expliquer. L’une des raisons pourrait être le début de la publication de la revue Bôken Katsugeki Bunko (dans lequel était justement publié Tokyo SOS) qui re-popularise le roman illustré e-monogatari. Et surtout aussi la seconde guerre mondiale et son dénouement atomique inoubliable… Tous ces éléments ensemble provoquent le déclenchement d’un nouvel âge de la science-fiction, qui s’achèvera en 1954 avec une conclusion magistrale, quand un monstre géant apparaît dans la baie de Tokyo.

Mais revenons au sujet principal de cet article. Que s’est-il donc passé dans le décors littéraire de science-fiction au Japon en 1955 ? Cette année-là, les romans Les courants de l’espace (Isaac Asimov, Yûsei Florina no higeki) et Les sables de Mars (Arthur C. Clarke, Kasei no suna) sont traduits et publiés dans la collection Sekai kûsô kagaku shôsetsu zenshû de l’éditeur Muromachi Shobô. Ces deux romans présentent pour la première fois de la science-fiction en tant que littérature pour adultes. Malheureusement, cette collection ne s’arrête qu’avec ces deux titres. Ce n’est qu’un petit détail, mais on constate quand même que les deux romans sont les deuxièmes tomes de leur saga respective. Les deux autres romans du cycle de l’Empire d’Asimov ne sont traduits que dans les années 1970. Toujours en 1955, bien que cela soit anecdotique, la nouvelle Les rats dans les murs de Lovecraft est publiée dans la revue Bungei. C’est la première traduction de ce maître de l’horreur et du fantastique. On avait déjà présenté Lovecraft en 1949 dans Hôseki, une revue dédiée au polar, mais le retentissement a été nettement moins important.

Un an plus tard, c’est au tour d’une autre collection de romans : Shônen shôjo kagaku shôsetsu senshû, par l’éditeur Ishizumi, qui, comme son nom l’indique avec shônen shôjo, vise avant tout les jeunes. Les japonais découvrent ainsi Poul Anderson, Milton Lesser, Donald A. Wollheim, Richard Matheson, davantage d’Asimov et d’Arthur C. Clarke. En tout, ce sont 22 volumes publiés en l’espace d’un an et demi jusqu’en décembre 1956.
Malgré l’insuccès de la première collection, la deuxième arrive pour de bon à provoquer un nouvel engouement pour la science-fiction occidental. L’éditeur Kôdansha y voit à son tour un bon filon et entame la publication de sa collection : Shônen shôjo sekai kagaku bôken zenshû (35 publications jusqu’en février 1958). A partir de là et pendant une bonne dizaine d’années, les traductions ne s’arrêtent plus. Celles-ci sont autant appréciées par les garçons que par les filles. En parallèle, les revues Uchûjin (1957) et S-F Magazine (1959) commencent à faire parler d’elles et incitent à la fondation d’un premier mouvement de fans de science-fiction. Si Uchûjin s’intéresse déjà aux textes d’auteurs locaux, S-F Magazine ne publie au début que des nouvelles d’auteurs étrangers. Mais suite à un concours d’écriture, le public japonais fait peu à peu connaissance avec Sakyô Komatsu, Taku Mayumura, Toyota Aritsune, Kazumasa Hirai, Hoshi Shin’ichi, etc…
D’une certaine manière, tout comme la collection des romans d’Edogawa Ranpô avait largement influencé les mangas policiers, les collections des romans de science-fiction jouent ce rôle sur le développement de la science-fiction japonaise de la fin des années 50 jusqu’à la fin des années 1970. Plusieurs auteurs, comme Sakyô Komatsu, vont mettre de plus en plus l’accent sur les théories scientifiques et/ou les descriptions pointues des outils employés pour résoudre les problèmes. D’une certaine manière, on pouvait déjà voir ça dans Godzilla ou même dans la conception d’Atom et de ses lois. Mais croyez le ou non, la Hard SF au Japon avant 1955 n’est toujours qu’anecdotique malgré ces deux mastodontes. Cette nouvelle vague va donc populariser davantage l’aspect science dure de la SF pour la faire définitivement perdurer. Elle se multiplie ensuite dans le shônen manga (Tezuka avouera d’ailleurs un penchant pour le style littéraire de Hoshi Shin’ichi), mais aussi dans le shôjo manga (voir prochain paragraphe), puis dans le cinéma et l’animation. D’ailleurs, on peut constater la présence de Toyota Aritsune et de Kazumasa Hirai qui travailleront beaucoup dans l’écriture des scénarios de Tetsuwan Atom et Eight Man. De plus, il y a fort à parier que la recherche de réalisme scientifique (ou plutôt des pirouettes scénaristiques qui tendent à le rendre crédible) aboutisse au développement de robots géants et à leur mécanique de plus en plus complexe. Mais bien entendu, entre-temps, les influences ont peut-être aussi été indirectes et/ou se sont probablement mêlées à d’autres influences plus lointaines.

Un autre point qui me plaît beaucoup mais que je n’arrive pas à développer aussi bien que je l’espérais, c’est ce développement dans le shôjo manga des années 1970. Après la publication de They were eleven!, Hagio Moto est félicitée par Sakyô Komatsu et Ryû Mitsuse. Plus tard, elle adapte le roman Billion Days and Hundred Billion Nights (Hyakuoku no Hiru to Senoku no Yoru) de Ryû Mitsuse et participe, avec Keiko Takemiya, à l’adaptation des Andromeda Stories du même auteur. Elle publie également plusieurs histoires courtes dans S-F Magazine, remporte des prix Seiun, et prouve que les femmes peuvent tout aussi bien écrire de la science-fiction en explorant des thèmes très complexes, un coup de pied au nez des hommes qui refusaient d’y croire à cette époque.
Néanmoins, je dois m’arrêter ici pour les influences de la science-fiction étrangères des années 1950. Car je trouve que la science-fiction des années 80 tirent bien plus son influence des auteurs/illustrateurs publiés et évoqués dans les revues Heavy Metal (version américaine du célèbre Métal Hurlant français) et Starlog.
Mais avant de clore le sujet, je souhaite ajouter une chronologie des collections, tout en ajoutant des événements importants de la science-fiction japonaise afin de mieux cerner ce développement. Je précise qu’elle est très incomplète et probablement discutable. Je vous encourage également à cliquer sur les liens pour observer plus de couvertures.
Chronologie des collections de romans de science-fiction (+ quelques événements importants)
1954 (octobre) : Godzilla pose à jamais son empreinte dans le cinéma et la science-fiction japonaise.
1954 (décembre) : Début de la publication de Seiun, première revue spécialisée dans la science-fiction. Un seul et unique numéro a été publié, mais c’est lui qui donne son nom au fameux prix Seiun.
1955 – Collection Sekai kûsô kagaku shôsetsu zenshû (2 publications)
1955 – Collection Shônen shôjo kagaku shôsetsu senshû (22 publications jusqu’en décembre 1956)
https://smp.electriclady.xyz/garamon/archive/5501
1956 – Collection Shônen shôjo sekai kagaku bôken zenshû (35 publications jusqu’en février 1958). Les couvertures sont toutes signées Shigeru Komatsuzaki. On constate quand même leur aspect infantile.
http://kopipa.html.xdomain.jp/boygirlkoudan01.htm
1957 : Début de la publication du magazine indépendant Uchûjin (Hoshi Shin’ichi, Taku Mayumura)
1957 – Collection Meisaku bôken zenshû (45 publications jusqu’en 1960)
http://kopipa.html.xdomain.jp/boygirlmeisakubouken.htm
1959 : Début de la publication du magazine S-F Magazine (la plupart des nouvelles sont d’origines étrangères dans ses premiers numéros)
1960 – Collection Shônen shôjo uchû kagaku bôken zenshû (24 publications jusqu’en 1963)
http://kopipa.html.xdomain.jp/boygirliwabg.htm
1961 – Collection Shônen shôjo sekai kagaku meisaku zenshû (20 publications jusqu’en 1962)
http://kopipa.html.xdomain.jp/boygirlkoudanzensyu.htm
1961 : Premier concours d’écriture pour le magazine S-F Magazine (Sakyô Komatsu, Toyota Aritsune, Taku Mayumura, Hirai Kazumasa sont nommés)
1962 (mai) : Meg-Con, première convention Nihon SF Taikai à Tokyo (Meguro)
1963 (janvier) : Diffusion des premiers épisodes de Tetsuwan Atom (Astroboy) à la télévision.
1963 (mars) : Fondation de Nihon SF Sakka Club, association des auteurs de science-fiction japonais.
1965 – Collection Sekai no kagaku meisaku (15 publications)
http://kopipa.html.xdomain.jp/boygirlkoudanmeisaku.htm
1966 – Collection SF sekai no meisaku (26 publications jusqu’en 1967)
http://kopipa.html.xdomain.jp/boygirliwasfmeisaku.htm
1967 – Collection SF Meisaku series (28/30 publications jusqu’en 1975. Selon la numérotation, 2 livres n’auraient jamais été publiés.) Les couvertures de cette collection sont mes préférées. Elles font nettement moins gamines que les précédentes. Allez, je vous en propose deux fois plus !
http://kopipa.html.xdomain.jp/boygirlkaisf.htm
1970 : Fondation du prix Seiun.