Dans le milieu de la bande dessinée, et tout particulièrement du manga, le nom de Shigeru Mizuki résonne avec GeGeGe no Kitarô, NonNonBâ et Histoire de Shôwa. Il est un des maîtres incontestés du manga d’antan, de l’horreur et de la guerre, ainsi qu’un spécialiste du folklore japonais et des monstres yôkai.
Shigeru Mizuki est plutôt bien reconnu en France, notamment grâce aux éditions Cornélius qui ont édité un bon nombre de ses mangas, mais aussi grâce aux critiques qui encensent son œuvre entière depuis près de deux décennies (et bien plus encore au Japon). Il a aussi reçu deux prix au festival de la BD d’Angoulême en 2007 et 2009. Et voilà qu’il revient avec une grande exposition pour l’édition 2022.

Yoshikazu Tsuno/Agence France-Presse — Getty Images

Dans cet article, je souhaite davantage revenir sur sa vie, son enfance et sa place pendant la guerre jusqu’à ses débuts en tant qu’artiste professionnel dans le milieu du kamishibai. En somme, je souhaite parler de ce Shigeru Mizuki qui n’est pas encore accepté dans le circuit conventionnel du manga, mais qui est déjà un grand artiste en devenir.

1 – L’enfance

Shigeru Mizuki (Shigeru Mura) est né le 8 mars 1922 dans le quartier de Kohama(mura) à Ôsaka (dans l’arrondissement de Nishihari, qui est devenu Higashi Kohama dans l’arrondissement de Sumiyoshi en 1925), soit 1 an et demi avant le grand tremblement de terre du Kantô, un peu moins de cinq ans avant le passage à l’ère Shôwa, et donc dans l’entre deux guerres quand les tensions sont de plus en plus palpables.

Shigeru est le deuxième des trois fils de Ryôichi et Kotoé Mura. À ce moment-là, son père travaille dans une imprimerie non loin de la station Umeda. Quant à sa mère, elle vit dans la résidence de ses parents à Sakaiminato dans la préfecture de Tottori. Quelques jours avant la naissance de Shigeru, Kotoé rend visite à son mari. Pour Ryôichi, les affaires ne sont pas terribles. Il quitte l’imprimerie moins d’un mois après la naissance de son fils et décide de repartir avec sa femme dans la demeure familiale à Sakaiminato. C’est finalement là que vit le petit Shigeru pendant une quinzaine d’années.

Malgré les déboires financiers de son père et l’immense perturbation économique qui suit le grand tremblement de terre du Kantô, on peut dire que la famille Mura n’est pas particulièrement touchée et ne manque pas d’argent, surtout parce que l’arrière grand-père de Shigeru, Sôhei Mura, était grossiste d’équipements de navire et tenait une entreprise gigantesque depuis la fin de l’ère Edo, reprise par la famille. Au début seulement. Ryôichi a tenté de monter une entreprise d’importation d’équipement pour l’agriculture, qui n’a pas fonctionné. Il a travaillé dans une banque mais il s’est fait virer. Il a même essayé de devenir scénariste de films, en vain, puis vendeur d’assurances… Malheureusement, les soucis financiers commencent à arriver et cela devient difficile même pour le grand-père qui décide de réaliser un nouveau business à Java, une île du Sud-Ouest de l’Indonésie.

Pendant ce temps-là, Shigeru grandit en songeant à manger tout ce qui lui passe sous la main et en se promenant où il veut sans se soucier de la distance. Fort heureusement, la vieille Nonnonbâ, la femme de ménage de la famille Mizuki, le retrouve et le ramène à la maison. Nonbonbâ a une grande…, plutôt une ENORME influence sur le petit Shigeru. Celle-ci lui raconte des histoires de yôkai qui va fortement développer son imaginaire. Cela peut sans doute paraître romantique, mais le petit Mizuki y croyait dur comme fer. Tout l’aspect folklorique que l’on aime tant dans son œuvre vient de tout le temps passé avec Nonnonbâ. Il l’aime tellement qu’il lui a dédié un manga tout entier, Nonnonbâ (1977), publié en France par Cornélius en 2006 (et qui a d’ailleurs remporté le prix du meilleur album pendant le Festival d’Angoulême en 2007), mais on la retrouve également dans les premiers volumes de Vie de Mizuki (2001, publié en France par Cornélius à partir de 2012) et de Shôwa : Une histoire du Japon (1988, qui ne demande qu’à être publié en France !

Malgré la grande flemme de Mizuki qui le mène à dormir jusque tard et à manquer la plupart des cours de mathématique, il s’avère tout de même bon élève, et surtout un bon artiste, un très bon artiste même. L’un de ceux dont raffole une certaine élite artistique. Dès l’école, ses professeurs allaient jusqu’à réaliser des présentations de ses dessins, disant qu’ils n’avaient rien de ceux d’un enfant, il recevait des prix et on parlait de lui dans les journaux, notamment dans le Mainichi Shinbun qui le surnomme « L’enfant prodige » à seulement 13 ou 14 ans.

Le jeune Shigeru deviendra grand !

Une fois son diplôme en poche, son père lui trouve du travail dans une imprimerie à Ôsaka. Mais il est paresseux, il se trompe sans arrêt, si bien qu’il finit par se faire virer, cela à deux reprises. En fin de compte il retourne à la demeure familiale et passe son temps à dessiner. C’est là où ses parents se demandent s’il ne ferait mieux pas d’aller dans une école d’art. On l’a inscrit à l’école des beaux-art de Seika à Ôsaka où le seul professeur était aussi le directeur, mais il n’y restait tout au plus qu’une heure par jour. En fin de compte, il dessine essentiellement pour lui-même, des contes des frères Grimm et des 1001 nuits, ou des histoires originales comme Suzume no Kodomo et Yume-gami (incertain quant à la lecture du titre en kanji). Pour autant, ses études à l’école des beaux-arts ne vont pas plus loin. Il rentre de nouveau à Sakaiminato et trouve un job de distributeur de journaux. Quelques temps après, il déménage à Tokyo avec ses parents. En parallèle, la guerre s’intensifie.

En 1942, alors qu’il est âgé de 20 ans, il passe un examen médical et, malgré sa myopie, reçoit une lettre de démobilisation pour rejoindre un régiment de l’armée impériale de Tottori.

2 – À la guerre

La guerre fait partie de la vie de Mizuki. Si tu as lu Vie de Mizuki (ou son Histoire de Shôwa dont on retrouve parfois des segments similaires), alors tu sais déjà plus ou moins ce qu’il se passe. Mais je vais quand même faire un court résumé.
Mizuki est engagé à la guerre en 1942 à l’âge de 20 ans et autant dire qu’il enchaîne les coups durs. 1942 est une année pivot pour l’armée japonaise puisqu’elle se retrouve constamment repoussée après les fâcheuses attaques sur Pearl Harbor et le Raid sur Ceylan, c’est pourquoi elle a besoin de plus de recrues. (La bataille de Midway en juin 1942 sera finalement le début de la fin pour le Japon, du moins, selon l’histoire, car la version de Mizuki est légèrement différente). Au départ, Mizuki aurait pu éviter de se rendre dans les zones dangereuses grâce à sa myopie et son manque d’endurance. Mais il a commis une grosse erreur de calcul lors d’une réaffectation en choisissant d’aller au sud parce que : « Il fait froid au nord, alors je veux aller au sud ! »… Or, le sud, c’est là où se passe toutes les plus grosses batailles… En 1943, il est envoyé à Rabaul en Nouvelle-Bretagne dans l’archipel de Bismarck, donc sur le front avec, en face, les armées américaine, australienne et néo-zélandaise. Oui, ce n’est pas de tout repos… C’est un long, très long calvaire pour lui, d’autant plus qu’il était lent, peu motivé, ensommeillé. Il se fait constamment engueuler et critiquer par ses supérieurs. Comme punition, il participe aux surveillances de nuit et se retrouve parfois pris au dépourvu par des guérilleros de l’île. On le place aussi dans une troupe perdue où on l’envoyait en première ligne, donc avec très peu de chance de survivre… Il finit par tomber dans des crises d’angoisse et par attraper la malaria qui s’infecte dans ses blessures, notamment au bras gauche. Ayant oublié son groupe sanguin, les soins n’ont pas pu être opérés assez rapidement. On lui ampute le bras gauche sans aucune anesthésie, mais son bras s’infecte avec des vers partout…

(c) Mizuki Production

En passant, Mizuki n’était pas gaucher mais bel et bien droitier. On raconte souvent l’inverse pour une raison que j’ignore, mais il ne se dessinerait en train de dessiner de la main droite dans les mangas sur sa vie…
Mizuki n’est pas un warrior pour autant. Il a vécu la guerre et elle a été horrible pour lui comme pour beaucoup d’autres. Il n’a pas été un soldat au sang chaud près à tout pour sa patrie. En réalité, il y a même un moment où il a abandonné son arme quitte à se faire enguirlander. On va jusqu’à l’ordonner de se suicider pour cette soi-disant erreur, ce qui le mène à une pensée nihiliste envers la guerre, envers le fonctionnement d’une ou plusieurs facettes du Japon qu’il juge fasciste, et cela s’en ressent dans son œuvre quand il met parfois en scène l’absurdité et la tragédie de la guerre, du militarisme et de la politique japonaise, même dès ses premiers (kashihon) manga de guerre.
Ce n’est pas parce que le Japon (comprendre : les militaires et le gouvernement) était l’ennemi de l’Occident que tous les japonais adhéraient à cette cause, loin de là. Beaucoup de civils n’étaient même pas au courant de ce qu’il se passait. La mère de Mizuki trouvait cela tout aussi absurde même si ses fils ne comprenaient pas et ne lisaient que les histoires des héros de la nation dépeintes dans des revues comme Shônen Kurabu (C’est le même magazine que Shônen Club. Je note Kurabu au lieu de Club pour parler de sa période d’avant-guerre, quand le titre était encore entièrement en kanji.) Il existait aussi des mouvements anti-guerre, des professeurs d’université avec des idées communistes ou marxistes, tous poursuivis par les militaires et le gouvernement. Ces derniers profitaient des incidents et des revendications des mouvements anti-guerre pour les placarder en tant que méfaits, de nombreux professeurs se sont vus poussés à démissionner et leurs étudiants préféraient quitter leurs études. Comme souvent au Japon, les revendications de la gauche politique ne passent pas.
Je pense qu’il y a encore bien plus de chose à dire sur le rôle de Shigeru Mizuki pendant la guerre du Pacifique, mais je t’avoue que je m’y perds à cause de mon manque sérieux en matière d’histoire, c’est à peine si je propose un résumé car les détails sont trop nombreux. Donc je t’encourage à lire Vie de Mizuki et, si tu le peux, Shôwa : A history of Japan édité en anglais par Drawn & Quaterly.

Showa: A history of Japan. Drawn & Quaterly.

3 – Le retour au Japon, l’artiste de kamishibai

Nous voici désormais à la plus grande partie de la vie de Mizuki, celle où il rentre au Japon pour devenir l’artiste que nous connaissons tous.
Pour autant, cette dernière partie se scinde là encore en… trois sous-parties : ses nouvelles études en école d’art à Tokyo, sa vie d’artiste en tant que kamishibai-ya à Kôbe, et enfin celle en tant que mangaka à Tokyo. Mais comme je l’ai indiqué au début de l’article, je ne vais pas aller plus loin que son rôle dans le milieu du kamishibai.

Mars 1946, Shigeru Mizuki revient enfin au Japon. Bien des choses ont changé. Il reste quelque temps à l’hôpital mais rentre peu après à Sakaiminato. En voyant qu’il lui manque un bras, sa famille est sous le choc. En 1947, il reçoit une lettre de l’hôpital pour une nouvelle opération pour son bras. Il retourne à Tokyo et découvre en même temps qu’il peut obtenir un petit emploi de dessinateur à l’hôpital, mais cela ne dure pas. Des amis lui proposent d’aller vivre ensemble dans un bâtiment abandonné avant de finalement déménager dans un hôtel pour réfugiés à Tsukishima. Il travaille aussi comme poissonnier près du pont Kachidoki. (Hé, mais c’est près de chez moi tout ça ! Un nouveau pèlerinage otaku s’impose !) Et à côté de ça, il fréquente l’école d’art de Musashino où il réussit tant bien que mal. Pour autant, il décide de quitter Tokyo pour se rendre jusqu’à Kôbe dans le département de Hyôgo, à l’ouest d’Ôsaka. La raison majeure est qu’il souhaite devenir artiste à temps plein, mais il lui est nécessaire d’obtenir une énorme somme d’argent pour lancer un atelier, ce qu’il n’a pas. Ce voyage lui permet de récolter de l’argent ici et là, sans grand succès pour autant.

Pendant ce temps-là, dans la région du Kansai depuis… mars 1945, et ce que cela représente pour l’histoire du manga.

Hashimoto Shoten, librairie à Matsuyachô en 1949. (c) Mainichi

On dit souvent que le manga s’est redéveloppé au lendemain de la guerre. Le lendemain de la guerre, cela sonne souvent bien, comme un renouveau, un point de départ. Mais en réalité, on a deux fils conducteurs, celui du lendemain de la guerre, mais aussi celui du lendemain des bombardements en mars 1945. Je vais plutôt évoquer cette dernière partie, mais l’un ne va pas sans l’autre.
Les survivants des bombardements à Ôsaka comme à Tokyo (mais aussi un peu partout dans les grandes villes du Japon) qui ont perdu leur maison cherchent ce qu’ils peuvent pour trouver de l’argent et manger. A Ôsaka, des marchés noirs apparaissent le long des décombres sur les plus grandes avenues, à Matsuyachô notamment. De même à Tokyo à Ameya Yokochô (Ueno). On y vend de tout, et tout coûte horriblement cher. Par exemple, un savon coûtait 20 yens au lieu de 10 sen (1 yen = 100 sen)… A une époque sans télévision, ces grandes avenues sont aussi le repère des bouquinistes qui attirent les grands comme les petits. On parle de dizaines de bouquinistes. Mais comme je l’expliquais dans mon article sur Shichima Sakai (c’est vrai, je dois écrire la deuxième partie, shh… 🤫), l’industrie du papier n’est pas au meilleur de sa forme. Son contrôle est opéré par l’armée américaine. Pour publier un véritable bouquin, il est nécessaire de faire vérifier son contenu. C’est là qu’entre en jeu un certain papier recyclé, un peu rougeâtre, qui n’est pas contrôlé par l’armée et qui nous permet d’aboutir au akahon (manga) d’après-guerre. A Ôsaka, on utilise ce papier recyclé pas terrible (le senkashi), mais la teinte rougeâtre en ressort davantage quand on le passe à l’impression.
En parallèle à Tokyo, et dès 1948, on reconstruit une industrie du magazine standard (Manga Shônen en 1948, Omoshiro Book en 1949, etc.), ceux-ci publient des articles, romans, histoires illustrées, quelques mangas rigolos en 4 cases dans la lignée du comic strips, sinon en quelques pages mais jamais plus de 4 ou 5. On tente de faire de même à Ôsaka, mais le secteur est plus marginal, en décalage avec ce qui se produit à Tokyo. C’est là qu’entre en jeu des personnalités comme Tokio Osaka et Shichima Sakai. Ils conçoivent une revue appelée Manga Man, puis Hello Manga. Ils fondent également l’association Kansai Manga Man Club et invitent des auteurs de tout le pays à les rejoindre. Ils seront 150, dont Osamu Tezuka. La première réunion a lieu au domicile de Tokio Osaka le 20 août 1946. Je n’en parlerai pas en détail ici, mais c’est à cette occasion que Tezuka rencontre Shichima Sakai qui lui propose de travailler ensemble. Ils aboutissent au célèbre Shin Takarajima (La nouvelle île au trésor) qui est publié en avril 1947, mais Tezuka publie déjà des strips dans des journaux et dans Hello Manga.
Je le note tout de même, car c’est sans aucun doute un point important en ce qui concerne Shin Takarajima. Le akahon manga est souvent un bouquin de mauvaise qualité et d’une cinquantaine de pages en papier recyclé. Quant à Shin Takarajima, même s’il est bien considéré comme un akahon manga, l’objet est limite une œuvre d’art qui tape à l’œil dans les librairies. On a affaire à un gros bouquin d’environ 200 pages avec une couverture épaisse, et c’est sans parler de son contenu avec une mise en scène dont les techniques empruntent à la cinématographie. Shin Takarajima devient instantanément un succès gigantesque. Mais ce n’est encore qu’un seul manga. Si les autres mangakas constatent la force qui se dégage de cette œuvre, il faut encore quelques années avant que la conception du manga à la manière de Tezuka s’infiltre dans la sphère du manga standardisé de Tokyo, vers 1950, quand les éditeurs cherchent à rompre avec les codes d’antan.

Cela peut paraître fou quand on sait que Mizuki est l’un des plus grands mangaka du Japon, mais malgré le développement du renouveau du manga qui s’opère, Mizuki commence sa carrière, non pas dans le manga, mais dans le kamishibai, et il la poursuit jusqu’en 1957. J’ai déjà écrit un article sur le kamishibai, si tu veux en pour en savoir plus.

Mizuki arrive à Kôbe en 1949. Un petit rappel, le vrai nom de Shigeru Mizuki est Shigeru Mura. Et à Kôbe, il y a l’avenue Mizuki et une vieille résidence décrépie appelée Mizuki-sô tenue par une vieille femme qui souhaite s’en débarrasser. Shigeru fait un emprunt pour l’acheter, mais il doit mettre des chambres en location pour rembourser le dit emprunt. L’un de ses premiers locataires est un artiste de kamishibai qui attise la curiosité de Shigeru. Artiste dans l’âme, il veut en dessiner ! Ce kamishibai-ya en question lui propose d’aller rencontrer d’autres artistes. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de deux figures importantes du milieu du kamishibai : Katsumaru Suzuki et Kôji Kata (ces deux-là se connaissent depuis novembre 1945). Kôji Kata s’est réapproprié le célèbre Ôgon Bat de Takeo Nagamatsu en 1932. Suzuki appelait tout le temps Shigeru : M. Mizuki, car il habitait dans la résidence Mizuki-sô. Avec le temps, Shigeru finit par apprécier ce nom et l’adopte définitivement. Mizuki et Suzuki travaillent ensemble à l’atelier de Suzuki : Hanshin Gageki, jusqu’en 1957, même s’ils ont divers déboires financiers.

Mizuki dessine ainsi des tas d’histoires. En général, un kamishibai met en scène en personnage qui vit des tas d’aventures sur plusieurs chapitres. Par exemple, Kappa no Sanpei (qui devient aussi un manga par la suite) a été un kamishibai pour lequel il a dessiné une quarantaine d’histoires (une histoire = une dizaine de planches = salaire de 200 yens). On sait que Daira est composé au moins de 54 chapitres. Kobito Yokozuna de 51 chapitres. En 1954, Suzuki suggère à Mizuki d’écrire des histoires autour d’un personnage inventé en 1933 par Masami Itô, Kitarô du Cimetière (Hakaba Kitarô). Ce petit personnage ne sortira plus jamais de l’esprit de Mizuki. Il en dessine plusieurs histoires dont Karate Kitarô, la plus célèbre de cette époque.

Le temps et les déboires financiers de Suzuki et de Mizuki mène ce dernier à revoir ses priorités. Entre temps, le manga s’est grandement développé dans tout le pays. Le akahon manga n’est plus, il a laissé place au kashihon manga (manga à louer) et à un grand nombre de magazines et d’auteurs ayant été influencés par le style tezukien. Mizuki se demande s’il pourrait s’en sortir dans ce milieu où les auteurs abandonnent à tour de bras. A cause du nombre limité de pages dans un magazine, un débutant sans expérience peut rarement s’y présenter. La seule solution pour y parvenir est de commencer par dessiner du manga à louer chez un libraire-éditeur et y faire ses preuves. Mizuki prend sa décision, il part à Tokyo !

Ce fut long à écrire mais nous y voilà ! Ce 8 mars, on fête les 100 ans de la naissance de Shigeru Mizuki, ce qui m’a amené à écrire la fin de cette article très rapidement et les détails manquent… Mais cela me va malgré tout, à partir d’ici, je peux combler les zones grises avec des nouvelles informations que je trouverai à droite et à gauche.

Dans le courant de l’année, si tu suis mon compte twitter, je vais continuer à parler des kashihon manga de Mizuki publié entre 1957 et 1965. Il en a dessiné 89, certains peuvent être perçu comme des prototypes de ce qu’il propose ensuite dans les magazines. Mais certains d’entre eux, ses mangas de guerre notamment, m’ont poussé à en savoir plus sur sa vie et l’histoire du Japon. Pour l’heure tu peux déjà lire des informations sur Aka Denwa et Rocketman. 🙂

Afin de publier un peu plus régulièrement (lol…), je vous propose des notes résumés de chapitres ou d’articles que je lis en japonais, mais les sujets sont totalement aléatoires. Je n’ajouterai pas d’explications car je les réserve pour d’autres billets, mais j’écrirai parfois un petit commentaire sur ce qui me vient à l’esprit en relisant à la fin.

Pour aujourd’hui, je vous propose un résumé du chapitre : De la gravure sur bois (木版印刷) à la photogravure (亜鉛凸版), de l’ouvrage : Nihon Manga Zenshi, de Shûji Sawamura.

Pendant Meiji (1868~1912), des nouvelles méthodes d’impression et des nouvelles techniques occidentales sont introduites (au Japon), telles la photogravure en 1877 et la phototypie (写真凸版) dans les années 1890. Grâce à ces techniques d’impression modernes, l’industrie des médias fait un bond en avant en terme de quantité et de qualité.

Se développent alors des systèmes de stockage et de vente beaucoup plus vastes et élaborés qu’ils ne l’étaient auparavant, où l’on aboutit, dans le même temps, à des nouvelles méthodes de livraisons. Ce phénomène devient un facteur déterminant dans le développement du journalisme. De nombreux journaux apparaissent : (Mainichi Shinbun (1872), Yomiuri Shinbun (1874), Asahi Shinbun (1877), Chûnichi Shinbun (1886), Chûgoku Shinbun (1892)) pour les plus connus encore actuellement). Afin d’en vendre un maximum, on cherche à obtenir l’opinion publique en publiant des illustrations satiriques faciles à interpréter qu’on appelle désormais fûshiga (風刺画). La demande s’intensifie tant et si bien qu’elle a pour conséquence d’augmenter leur production comme leur publication. Et pour les artistes, c’est aussi une occasion en or pour mettre au point des nouvelles formes d’expressions.

Asahi Shinbun #246, 1879. Voir d’autres exemples ici.

Voilou. C’est très court, yep. Je pense que les plus férus en matière d’histoire du manga comprennent où le texte veut en venir, à savoir, le point de départ du journalisme moderne qui mènera à l’apparition des comic strips (yonkoma manga) aka : les premiers mangas.

J’ai bêtement tendance à ne pas mélanger les fûshiga et les mangas puisque la démarche devient peu à peu différente avec l’évolution du sens de l’expression manga. Les fûshiga descendent des caricatures giga (戯画, caricature d’Edo), et les mangas « modernes » descendent des fûshiga.  Ces giga sont assez importants. Le plus connus d’entre eux est sans aucun doute le rouleau chôjûgiga (鳥獣戯画, Caricatures de personnages de la faune). Mais il en existe bien d’autres. Certains d’entre eux possèdent des spécificités qu’on retrouve dans la bande dessinée, comme le découpage en case, les textes écrits de façon à donner l’impression que c’est le personnage qui parle, des formes qui font penser à des bulles. Voila pourquoi on dit souvent que le giga est le « manga d’Edo » lors des expositions, alors que rien n’est encore véritablement unifié et popularisé. Ils sont néanmoins très intéressants pour découvrir l’évolution de chacun des éléments qui composent le manga moderne.

Et de la même manière, le fûshiga use parfois de certains des éléments qui composent le manga moderne, mais son lien avec ce dernier est plus direct car les premiers mangakas sont influencés par les fûshiga publiés dans les mêmes revues et les journaux. Je pense notamment à Tokyo Puck et Jiji Shinpô.

Entre les deux, plusieurs artistes, en particulier Hokusai, dessinent leurs mangas, qui sont parfois des représentations du quotidien sans trait d’humour, parfois des caricatures. Dans ce cas, on est dans un croisement avec les sens primaires du mot manga : « ki no muku mama ni e wo egaku/bunsho wo kaku » : dessiner/écrire comme on l’entend, ou bien « manzen wo egakareta e » : un dessin sans but (particulier). Ce sont des sens que des auteurs japonais auraient donné à d’anciens mots chinois : 曼筆/漫画 (man’hitsu/mankaku, oui, mankaku) qui sont les ancêtres du mot manga. A vrai dire, il existent même une théorie en rapport avec un oiseau appelé spatule blanche… Dans tous les cas, on remarque qu’il n’est pas forcément question de caricature. C’est d’ailleurs ce qu’indique Isao Shimizu dans… je ne sais plus quel bouquin. (désolé, il faut que je le retrouve.. ^^ »). En gros, il explique que les anciennes définitions ne possédaient pas le sens de caricature. En fait, Hokusai a dessiné un peu de tout dans ses fameux « mangas », à la fois des scènes du quotidien, des croquis, parfois de la caricature. De là, le sens de manga en tant que caricature s’est popularisé alors qu’il était déjà question de fûshiga. Ces deux expressions se sont emmêlées à un point où, de nos jours, on ne sait pas vraiment ce qui est du manga ou du fûshiga. Ce mélange subtil est même très exactement la raison pour laquelle on trouve, au Japon, beaucoup de livres employant le mot manga dans leurs titres alors que leurs auteurs parlent essentiellement des caricatures allant d’Edo à Rakuten Kitazawa + son évolution jusqu’à aujourd’hui. Si tu trouves cela très étrange, je suis tout à fait d’accord avec toi. Mais peut-être que tu m’as perdu depuis le premier paragraphe. :p

Donc, oui, on peut avoir l’impression que le manga existe depuis longtemps mais, à mes yeux, c’est finalement très rare, on est encore loin d’unifier ces éléments pour obtenir le manga moderne telle qu’on le connait aujourd’hui. Cela n’arrive pas avant… les comic strips de Beisaku Taguchi en 1896 et ceux de Rakuten Kitazawa en 1902. C’est d’ailleurs ce dernier qui reprend l’expression manga pour l’employer dans son sens quasi-actuel.

Sinon, je vous recommande vivement de lire Histoire du manga de Karyn Nishimura-Poupée. Pour ma part, je replonge dans Durarara.

Si vous avez lu la dernière édition de La Nouvelle Île au Trésor (Shin Takarajima) d’Osamu Tezuka chez Isan Manga, j’imagine que vous avez entendu parler de Shichima Sakai, celui qui a travaillé à ses côtés. À la fin de l’ouvrage, Xavier Hébert explique rapidement qui est Sakai et note le nom de la revue Hello Manga. Mais, et on ne peut pas lui en vouloir, c’est avant tout un texte sur Shin Takarajima et Tezuka, donc il n’y explore pas tellement la vie et l’oeuvre de Sakai. Néanmoins, même dans des ouvrages plus dense sur le dieu du manga, je trouve qu’on esquive un peu le sujet si ce n’est pour dire encore et toujours qu’il est son collaborateur. C’est dommage, non ? Je tenais donc à revenir dessus pour le mettre davantage en avant, parler de sa vie, son oeuvre, et son implication sur le destin de Tezuka.

Shichima Sakai (1923~1945) : un mangaka et un animateur

  • Premiers pas dans le milieu du manga : Ôsaka Puck & Ôsaka Shinbun

En Occident, on ne le connait qu’en tant que collaborateur de Osamu Tezuka et co-créateur de la première version de Shin Takarajima, mais Sakai était déjà mangaka à temps plein depuis deux décennies, scénariste de romans illustrés et de kamishibai, animateur et storyboardeur. Certes, son travail n’a jamais eu un retentissement aussi fort que Tezuka, mais il est très respecté, surtout dans la région du Kansai. Parfois, on rappelle qui il a été lors d’une exposition.

Shichima Sakai, de son nom de naissance Yanosuke, est né le 26 avril 1905 à Ôsaka (plus précisément à Daihôjimachi Nishinochô, mais ce nom n’existe plus de nos jours, le quartier s’appelle désormais Nishishinsaiba). Quand il s’intéresse au dessin, il entend parler d’Ôsaka Puck, une revue satirique très populaire dont la publication a commencé la même année que sa naissance. En 1923, il rend visite à Kyûho Kodera, qui travaille comme illustrateur pour ladite revue, et devient son disciple. Il passe ainsi ses journées à dessiner, mais autre particularité, il apprend aussi à éditer.

Le panneau explique la renommée de la revue satarique qui, à son meilleur moment, vendait jusqu’à cent mille exemplaires. Kyuhô Kodera est l’artiste qui en dessinait les couvertures. Ôsaka Puck devient Manga Nihon en 1943, puis Yomimono to Manga en 1946. Malgré ces changements de nom, la publication s’interrompt en 1950.
  • Deux cycles d’animation : dans les studios Nikkatsu Kyôto Satsueisho Manga-bu & Nihon Eiga Kagaku Kenkyûsho

Comme souvent à cette époque, les mangakas entretiennent un rapport étroit avec le milieu de l’animation. À ce sujet, Shichima Sakai connaît plusieurs cycles. Le premier a lieu entre avril 1934 et juin 1935 où, grâce à l’acteur Denjirô Ôkôchi (source 1), il rejoint le département manga (comprendre animation) d’une branche du studio Nikkatsu à Kyôto (Nikkatsu Kyôto Satsueisho Manga-bu). Là, il travaille sur le film Shima no Musume, le premier film d’animation parlant du studio. Il est ensuite animateur sur leurs prochains films, la trilogie Ninjutsu Ninotama Kozô (Edo no Maki, Sanzoku Taiji no Maki, Kaizoku Taiji no Maki) réalisée par Yoshi Tanaka. Malheureusement, ce département manga du studio ferme ses portes en juin (source 2), Sakai décide de retourner travailler à temps plein pour Ôsaka Puck et Ôsaka Shinbun.

 

Son deuxième cycle dans l’animation intervient en 1941 en entrant au studio Nihon Eiga Kagaku Kenkyûsho (très lié au studio Nihon Dôga Kenkyûsho fondé par Masaoka Kenzô en 1937 sous le nom de Nihon Dôga Kyôkai (source 3)) et réalise les films Umi no Shôyûshi et Sora no Imontai. Il anime également Odoru Engine. En 1942, il devient le président de la branche du Kansai de l’association Nihon Eiga Hôkô-kai, dont la maison mère avait été fondée par Ippei Okamoto. Et l’un de ses présidents n’était autre que Rakuten Kitazawa. En somme, Shichima Sakai devient un très gros nom dans ce milieu, il fréquente et rassemble de plus en plus de monde. Même si il est mangaka depuis déjà de nombreuses années, sa carrière dans l’animation s’avèrera encore plus importante dans les années 1960 grâce aux rencontres et aux actions qu’il entreprend à ce moment-là.

1 : Cette anecdote a été publié dans l’édition du 23 mai 1934 du journal Kyôto Nisshutsu Shinbun.
2 : Annoncé dans la revue Kinema Junpô du 1er juillet 1935, mais aussi dans l’ouvrage Nihon Kyôiku Eiga Hattatsu-shi, écrit par Jun’ichirô Tanaka et publié en 1979.)
3 : Terebi anime yoake mae – shirarezaru kansai-ken animation kôbôki, Nobuyuki Tsuguta, Nakanishiya Shuppan, 2012.

  • Interlude ~ les akahon manga

La guerre éclate, et autant dire que le Japon a bien du mal à s’en relever. Après la défaite, le pays se retrouve à genoux, l’économie est à plat, les gens galèrent, l’industrie du cinéma perd la moitié de ses salles, celle du papier est en rade. De plus, tout doit être passé au crible par le commandement suprême des forces alliées (SCAP/GHQ) qui ne peut en fournir qu’une petite quantité par personne. Il n’est plus possible de produire un film pour mettre en avant les valeurs de l’empire, donc ni militarisme, ni nationalisme. De fait, la production des films de guerre sont annulés, et le jidaigeki est difficile à faire accepter de par ses propos nationalistes même si cela se passe souvent pendant Edo. Il en est de même dans le manga où les histoires de samouraï se font rares, tout comme celles mettant en scène les arts-martiaux. Mais le manga et l’animation ne s’arrêtent pas qu’à la propagande et au jidaigeki, loin de là. Il est tout à fait possible de dessiner beaucoup d’autres thèmes : le sport d’équipe est acceptable, en particulier le baseball, l’aventure, la science-fiction, ou encore des scènes du quotidien et la beauté du paysage.

Economiquement, même si le Japon ne peut plus se servir dans les mines de ses pays voisins, il découvre à sa grande surprise qu’il est capable de produire 3 à 4 fois plus sur son propre terrain. (Bah ouais…) De fait, la reprise économique est beaucoup plus rapide que prévu, allant même jusqu’à une hyper-inflation. On raconte souvent que le Japon est en rade jusqu’au milieu des années 1950, mais en réalité, ce n’est le cas que pour deux ans. Et suite aux actions ironiques menées pour et pendant la guerre de Corée, les choses rentrent à peu près dans l’ordre pour le Japon en 1952 après la signature du Traité de San Francisco. C’est ici la première étape du fameux miracle économique japonais.

Côté culture, le problème n’est pas le manque de possibilités, mais plutôt le manque de matériels, surtout le papier dans le cas du manga, et l’obligation d’aller faire accepter son travail. S’en charger demande des ressources et des compétences, car il faut se rendre à Tokyo et présenter un dossier en anglais, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde, surtout quand on habite dans le Kansai. C’est pourquoi, même si quelques grosses personnalités parviennent à monter des nouveaux studios et des maisons d’édition, on voit apparaître un marché noir de l’édition du livre et du manga dans les régions assez éloignées de Tokyo où, adultes comme enfants, utilisent un papier recyclé non régulé par le SCAP pour dessiner des illustrations et/ou des petites histoires d’une vingtaine de pages.

La teinte rougeâtre de ce papier recyclé aboutit à la naissance du akahon d’après-guerre, et donc à celle du akahon manga. Ils commencent à s’en vendre à Ôsaka, dans les rues du quartier de Matsuyachô, d’abord dans des boutiques de bonbons et sur les stands routiers comme ceux que l’on peut voir lors des festivals. Après la publication de Shin Takarajima, le phénomène explose et s’étend jusque dans les librairies du quartier (Fujiya Shoten, Tôkôdô, Sanshun Shobô). Peu à peu, ces boutiques proposent non seulement de les vendre, mais aussi de les louer, et on aboutit au fameux circuit du kashihon manga, puis à celle du gekiga, mais c’est une autre histoire. L’histoire du akahon est encore plus complexe, mais certains passages sont encore très flous pour moi. On peut déjà dire que le akahon existait avant la guerre, et qu’il existait aussi sous diverses formes (omocha manga, mame-hon), mais dans le cas présent, je pense en avoir écrit assez pour comprendre la suite de l’article.

On remarque, d’une manière ou d’une autre, la présence d’une couleur rouge, soit dans le titre ou dans le fond dans le dessin.

Shichima Sakai (1946~1969) : un éditeur et un storyboardeur

  • La fondation d’Ikuei Shuppan

Si j’évoque précisément ici l’arrivée du akahon manga, c’est parce que Sakai va aussi avoir son rôle dans l’explosion de ce marché.

Au lendemain de la guerre, il doit d’abord se reconstruire. Comme beaucoup de gens, il n’échappe malheureusement pas aux raids aériens. A Ôsaka, ils ont eu lieu le 13 mars 1945. Il perd sa demeure comme la fortune qu’il a amassée durant les vingt années précédentes. Sa première idée est de se rendre au marché noir d’Uehonmachi en espérant trouver un moyen de se nourrir, mais ce qu’il aperçoit est un spectacle désolant.
Son regard aurait été attiré par un furoshiki contenant ce qui ressemble à des menko, des petites cartes rondes et rigides. Mais celles-ci étaient faites avec un papier utilisé pour dessiner des scripts de manga. Il réalise que les enfants essaient aussi de survivre en cherchant à vendre ces cartes sur lesquelles ils ont dessiné. On découvre ici la réémergence des omocha manga et des mame-hon, qui sont des variations des akahon manga dont je parlais plus tôt.
En attendant de se refaire grâce à ses contacts, Sakai dessine aussi des portraits des militaires américains pour gagner un peu d’argent et manger. Il découvre les comics dans la foulée.

N’étant pas le premier venu dans le monde du manga, il n’attend pas longtemps pour fonder une nouvelle structure, une maison d’édition appelée Ikuei Shuppan. Il entame la publication de plusieurs revues : Manga Man et Hello Manga. La première est la publication officielle du cercle Kansai Manga Man Club qu’il fonde avec d’autres artistes d’Ôsaka, dont Tokio Ôsaka, Masao Tanaka, Mitsuo Tôura?. A en voir son aspect, on est plutôt dans la revue d’auteur pour adulte avec des caricatures difficile à appréhender.
Quant à Hello Manga, il s’agit d’une revue pour enfants avec des couvertures colorés et des histoires amusantes.
C’est aussi lors d’une rencontre de ce cercle, en août 1946, que Sakai fait la connaissance de Osamu Tezuka. Ce n’est pas tout à fait clair, mais comme Hello Manga est publié tous les deux mois, et que le numéro 2 a été publié en octobre 1946, on peut deviner que la rencontre de ce cercle avait pour but d’inaugurer la publication du premier numéro. Tezuka n’y apparaîtrait qu’à partir du deuxième numéro en publiant le strip Kurihirohi.

Couverture des numéros 1 & 5 de la revue Manga Man, respectivement publiés en mai et octobre 1946.
Deuxième numéro de Hello Manga, où l’on découvre quelques strips de Shichima Sakai (Zô no Kushami), Osamu Tezuka (Kurihirohi) et de Yamate? Yoshikazu. (Pour agrandir : clic droit > ouvrir l’image dans un nouvel onglet)

Bien, je m’arrête ici pour l’instant. L’article est très long à écrire et ma partie sur la relation entre Tezuka et Sakai est loin d’être terminée… Je ne peux même pas dire quand ce sera prêt.. ^^ »

Happy Manga Day ! (avec un jour de retard)

Lectures complémentaires :

Nazo no mangaka – Sakai Shichima-den – Shin Takarajima densetsu no hikari to kage, Haruyuki Nakano, Chikuma Shobô, 2007.
Bessatsu Taiyô – Kodomo no shôwa-shi – Shônen Manga no Sekai I, Heibonsha, 1996.

Lors d’un échange sur la critique japonaise de manga sur un discord, j’évoquais l’importance des dôjinshi spécialisés dans ce domaine et on m’a proposé d’en faire une petite liste. Mais plus qu’une liste, je pense qu’il faudrait peut-être détailler un peu de quoi il s’agit, par qui ils sont écrits, et si oui ou non on peut faire confiance à leur contenu.

Kashihon Manga-shi Kenykû – 貸本マンガ史研究

Comme on le devine à son titre, celle-ci est spécialisée dans l’histoire du kashihon manga. Elle existe en deux versions. La première a été fondée par le cercle (ou l’association) Kashihon Manga-shi Kenkyû-kai (貸本マンガ史研究会) en 2000. 22 numéros ont été publiés jusqu’en 2011. Les 3 numéros que vous pouvez voir sur la photo en font partis. Quant à la deuxième, commencée à 2014, elle compte désormais 6 numéros (J’ai le numéro 5). Le dernier en date a été publié en juillet 2020, donc oui, ils sont encore actifs.

Le cercle dont je parlais plus tôt a été fondée en 1999 par 5 personnes : Jun Kajii, Hideyaki Miyake, Susumu Gondô, Kiyoshi Chida et Masakichi Miyake (la lecture du nom est très incertaine pour ce dernier). La plupart sont nés dans les années 1940-50 et ont été mangaka et/ou éditeurs durant leur jeunesse, dans le milieu du kashihon, mais aussi dans celui du manga alternatif, en particulier Garo.

Mais retenons surtout Jun Kajii et Susumu Gondô. A l’époque, ces derniers, avec Sadao Yamane et Junzô Ishiko, font dans la critique de kashihon, et ce depuis 1967. Ils fondent ensemble Manga Shugi (漫画主義), le premier cercle amateur de recherches et critiques en manga.
Mais ce n’est pas tout, car Susumu Gondô travaille aussi comme responsable d’auteurs pour le magazine Garo, et donc côtoyaient des personnalités comme Mizuki Shigeru, Shirato Sanpei, Yû Tsurita et Yoshiharu Tsuge. Les premières revues de Manga Shugi sont d’ailleurs consacrées à ce dernier auteur inclassable.
Par la suite, Jun Kajii et Susumu Gondô vont publier plusieurs livres sur l’histoire du kashihon manga, mais aussi sur le milieu de la critique, le tokiwasô, ou encore sur le manga pendant la guerre.
Donc ce qu’on peut comprendre ici à propos du cercle Kashihon Manga-shi Kenkyû-kai, c’est qu’il n’est pas dirigé par les premiers venus et que plusieurs d’entre eux (à défaut de trouver des infos sur les autres) ont déjà une très grande expérience dans l’édition de manga tout en connaissant en détail les fondements du kashihon manga et du magazine Garo. Donc on peut supposer sans aucun problème que les textes présents dans la revue éponyme devraient nous apporter de nombreuses informations utiles.

Utiles ? Alors, oui, mais à une certaine condition. Elles sont effectivement blindées d’informations sur des kashishon en particulier. Mais on ne pourra jamais vraiment les replacer dans leur contexte si on n’a pas des bases solides. Surtout en France où le kashihon est encore un univers à peine compris. Donc le mieux à faire avant de se diriger vers ces revues serait de se tourner vers Kashihon Manga Returns, un bouquin sur toute l’histoire de ce format, publié par le même cercle. Ils ont pensé à tout !

Maintenant je vous propose de plonger dans les entrailles d’une de ces revues. Je choisi le numéro 11 parce que j’aime beaucoup la SF et que j’ai lu le kashihon présenté en couverture. :p

Tout d’abord ce qu’on constate, comme souvent chez les écrivains japonais pour ce genre d’ouvrage, c’est l’écriture à la première personne. On explique rapidement au début comment tel ou tel bouquin a été trouvé et ce qu’on en pense au premier abord. (Un peu comme ce que je fais sur ce blog). Bref. Donc ce premier article est la première partie d’un tour d’horizon de la collection d’anthologies de science-fiction appelée X Sakusen. Elle aurait été publiée dans les années 1960 par l’éditeur Angel Bunkô. On y présente rapidement l’univers de la SF et son importance dans les magazines shônen, la place de Tezuka et l’influence d’Ishinomori, de Fujiko Fujio, et de Yoshihiro Tatsumi dans le trait des jeunes auteurs de l’époque. Etc, etc… On a au moins un petit contexte pour bien cerner la situation. Les 6 pages suivantes proposent une description très détaillée de chacun des trois volumes (un quatrième est évoqué, mais il n’a probablement jamais été publié), les titres des histoires courtes, les auteurs, et un petit descriptif du thème global de chaque bouquin.

Dans cet article, il est question du paysage de l’après-guerre dans le manga shôjo, et comment Shin’ichi Endô et Yoshiharu Tsuge le mette en scène. Les kashihon manga Kanashiki Kubi kazari (Endô, 1959) et Ai no shirabe (Tsuge, 1955) publiés par l’éditeur Wakaki Shobô sont utilisés comme exemple.

Une critique sur Kichigai tokei (Horloge folle?), une histoire courte de Yoshihiro Tatsumi publié en 1957 dans le deuxième numéro de la revue kashihon Machi. Dans l’histoire, un homme devient de plus en plus fou en entendant les claquements des roues d’un train contre les rails passant près de son appartement, ces derniers agissent comme le tic-tac d’une horloge. Le critique Kiyoshi Chida décrit ici la complexité de la psychologie humaine quand elle est poussée dans ses derniers retranchements et sa mise en scène grâce au coup de crayon habile de Yoshihiro Tatsumi.

Ici il serait question de la place des lectrices, dans le milieu du kashihon, toujours, avec comme exemple une collection d’anthologies d’histoires courtes humoristiques mettant en scène des filles au tempérament malicieux, en japonais : o-tenba (tomboy/garçon manqué). Class O-tenba Nikki (publié par l’éditeur Kinran-sha à partir de 1959) serait à mettre aux côtés de Sazae-san de Machiko Hasegawa, et de Kakkun Oyachichi de Yû Tsurita.

Une réponse à la critique de Hiroshi Mizoguchi sur la manière de représenter ce qui est vieux et ce qui est nouveau dans le manga. A vrai dire, je ne sais pas tellement ce qu’il en est. Le critique parle d’un échange avec ce Mizoguchi, et ils parlent du mangaka Taku Horie. Je n’ai pas creusé plus que ça.

Cinquième chapitre autour des auteur.es de kashihon manga. On y évoquerait la mise en page des couvertures.

Ce dernier article est une interview avec le gérant d’une ancienne librairie de kashihon, Luna Shobô, et la popularité de ces boutiques dans les années 1960.

Si cette revue vous intéresse, le site de Mandarake pourrait aider (mais c’est limité à quelques exemplaires), sinon en faisant appel à un pote au Japon, un qui n’a pas la flemme d’aller à la poste (donc pas moi, merci). Et si vous résidez au Japon, vous pouvez trouver des exemplaires dans les librairies Yumeno Shoten et Kudan Shobô dans le quartier de Jimbôchô, sinon à Mosakusha à Shinjuku (ce dernier est plutôt spécialisé dans l’édition indépendante et ne propose souvent que les dernières sorties).

Titres inconnus (~ 1963)
On sait que jusqu’en 1963, avant son entrée au studio Tôei Dôga, Miyazaki a soumis plusieurs mangas à des éditeurs. Malheureusement on n’a aucun titre ni aucune info particulière. On pourrait dire que cette ligne ne sert strictement à rien, mais je tiens à la garder, au cas où, des gens sont capables de retrouver des vieux films des années 1910, alors pourquoi pas ?
Buriki no Machi + Umi no ko Pazu (1959 ~ 1963)
ブリキの町 + 海の子パズー
Alors, je n’ai malheureusement aucune image à proposer, mais ce sont deux spectacles de marionnettes que Miyazaki a produit quand il était encore à l’université. L’information concernant Buriki no machi apparait dans un guide sur Majo no takkyûbin (Kiki, la petite sorcière) publié en 1989.
Manga Bokoboko Sensô (1964 ~ 1966)
マンガ・ボコボコ戦争
Yonkoma manga (manga en quatre cases) qui apparaissait dans le bulletin du syndicat des travailleurs du studio Tôei Dôga.
Nagagutsu wo haita neko (Le chat botté, Jan ~ Mars 1969)
長靴をはいた猫
Manga non signé en 12 chapitres publié dans l’édition du dimanche du journal Chûnichi Shinbun. Servait probablement à promouvoir le film mais les détails sont inconnus.
Sabaku no tami (Le peuple du désert, 12 Sept 1969 ~ 15 Mars 1970)
砂漠の民
Histoire illustrée (e-monogatari) en 26 chapitres publiée dans l’hebdomadaire Shûkan Shônen Shôjo Shinbun. Elle est signée Saburô Akitsu (秋津三朗, un pseudonyme de Miyazaki). La première moitié ressemble plus à un e-monogatari (une histoire illustrée, type de publication très populaire dans les shônen/shôjo magazine de l’époque), tandis que la seconde moitié ressemble à une bande dessinée.
Note perso : On retrouve des idées similaires à Nausicaä.
Dôbutsu Takarajima (L’île au trésor des animaux, Jan 1971 ~ Mars 1971)
どうぶつ宝島
Manga en 13 chapitres publié dans l’édition du dimanche du journal Tôkyô Shinbun. Non signé. Servait probablement à la promotion du film mais les détails sont inconnus.
Hassô kara film made (De l’idée au film, Mai 1979 ~ Juillet 1979)
発想からフィルムまで
Illustrations (image board) et commentaires de Miyazaki sur la production d’un film d’animation publiés dans le supplément Animation de la revue Gekkan E-hon.
Zoku – Hassô kara film made (De l’idée au film (suite), Juin 1980 ~ Juillet 1980)
続・発想からフィルムまで
Idem qu’au dessus, mais le supplément Animation est désormais une revue à part entière.
Boku no scrap (Mon dépotoir(?), Oct 1981 ~ Dec 1981)
ぼくのスクラップ
3 bulletins du fan-club du studio Tokyo Movie Shinsha dans lesquels Miyazaki a écrit et dessinés des essais sur les avions de guerre et les tanks. Quelques images ici et .
Kaze no tani no Nausicaa (Nausicaä de la vallée du vent (première partie), Fev 1982 ~ Oct 1982, puis Dec 1982 ~ Juin 1982)
風の谷のナウシカ(第1次連載)
Première salve de chapitres du manga de Nausicaä publiés dans le magazine Animage. Alors qu’il s’est vu refuser plusieurs projets de film d’animation par Tokuma Shoten (Rolf, Sengoku Majo, Hayao Senki, entre autres) quand il était encore au studio Telecom, Miyazaki accepte de publier un manga dans le magazine Animage (par le biais de Toshio Suzuki).
Note perso : A l’époque, réaliser un film d’animation à partir d’une histoire originale n’était pas acceptable. On lui disait qu’il fallait au moins un manga, populaire qui plus est. Néanmoins, en commençant Nausicaä, il partait du principe qu’il ne le réaliserait jamais en film d’animation. C’est sa popularité toujours croissante qui a finalement motivé Tokuma à le pousser à la tâche. Il a mis le manga en pause pendant un bon moment afin d’y parvenir. La suite du manga n’arrivera qu’en août 1984.
Dokusha no mina-san he (A tous mes lecteurs, Nov 1982)
読者のみなさんへ
Une illustration pour s’excuser de la mise en pause du manga Nausicaä parue dans le magazine Animage de Novembre 1982.
Boku no VSOP / Imôto he (Mon VSOP / A ma petite sœur, 20 Dec 1982)
僕のVSOP/妹へ
Boku no VSOP (Very Special One Poster) est un poster publié au début du livre Best Coupling Collection – Miyazaki Hayao-Ôtsuka Yasuo no Sekai. Imôto he est une histoire courte illustrée en 6 pages. Cliquez ici pour en voir quelques images.
Chûshô Kaiga (Art diffamant, 31 Dec 1982)
中傷絵画
Une illustration publiée dans la première édition de l’ouvrage Sakuga ase-mamire écrit par Yasuo Ôtsuka.
Ornithopter (1 Feb 1983)
オーニソプター
Illustration qui apparait en couverture du magazine Comic Box (avec un dossier spécial sur Nausicaä). On y voit une fille et un garçon ressemblant à Pazu et Sheeta en train de piloter un ornithoptère.
Cliquez ici pour voir quelques pages du magazine. Les mangas de Nagagutsu wa haita neko et de Dôbutsu takarajima (cités plus haut) sont également publiés dans ce numéro. Il semblerait que les chapitres de Sabaku no tami ont été republiés dans le Comic Box précédent.
Mononoke-hime (ver. 1980) / Ornithopter no densetsu (20 Mars 1983)
もののけ姫(1980年版)/ オーニソプターの伝説
Dans l’ouvrage Miyazaki Hayao Image Board-shû, outre les nombreux croquis préparatoires des séries et des films sur lesquels il a travaillé, on retrouve une première série de croquis de Princesse Mononoke (avec un monstre qui ressemble beaucoup à Totoro). A partir du milieu de ce même ouvrage et sur environ 4-5 pages, il y a une petite histoire sur l’aéronef appelé Ornithoptère. Plus loin encore, divers croquis sur des projets non concrétisés tel Sengoku Majo, Yara, Fifi Brindacier, les premiers croquis de Totoro, etc. Cliquez ici pour en voir quelques images.
Shuna no tabi (15 Juin 1983)
シュナの旅
Une histoire illustrée écrite et dessinée (à partir?) en novembre 1982 après son départ du studio Telecom. Influencée par la légende tibétaine : Inu ni natta ôji (Le prince transformé en chien).
Manga « Kaze no tani no Nausicaä » Dokusha no mina-sama he (Juillet 1983)
マンガ「風の谷のナウシカ」読者のみなさまへ
Une nouvelle illustration publiée dans Animage pour s’excuser de la pause du manga Kaze no tani no Nausicaä.
Futatabi Nausicaä no dokusha no mina-san he (Sept. 1983)
再びナウシカの読者のみなさんへ
Une nouvelle illustration publiée dans Animage pour s’excuser de la pause du manga Kaze no tani no Nausicaä.
Animation gamen shori ni tsuite (A propos du traitement des images, 31 Mars 1984)
アニメーション画面処理について
Un commentaire accompagné d’illustrations sur le traitement des dessins(?) durant la production du film Kaze no tani no Nausicaä publié dans le premier volume du storyboard.
Boku no Nibaraki (Ma 2CV, Juin 1984)
ぼくの2馬力
Quatres pages d’un essai accompagné d’illustration où Miyazaki parle de sa 2CV favorite. Publié dans le magazine Comic Box Vol.11 (mai-juin 1984). Cliquez ici pour voir les pages.
Kaze no tani no Nausicaa (Nausicaä de la vallée du vent (deuxième partie), Août 1984 ~ Février/Avril/Mai 1985
風の谷のナウシカ(第2次連載)
Reprise de la publication du manga Nausicäa. Il l’interrompt à nouveau quand il entreprend la production de Laputa.
Zassô Note (Notes de rêveries (première partie), Novembre 1984 ~ Mars 1985
雑想ノート(第1次連載)知られざる巨人の末弟/甲鉄の意気地/多砲塔の出番/農夫の眼/竜の甲鉄
Publication des cinq premières histoires courtes de Zassô Note dans le magazine Model Graphix : Shirarezaru kyojin no mattei, Kôtetsu no ikuji, Tahôtô no deban, Nôfu no me et Ryû no kôtetsu. Model Graphix est d’abord un magazine de modelisme qui propose aussi de nombreux articles sur l’histoire des machines de guerres (tank, avion etc.). Bien qu’étant pacifique, Miyazaki avoue une passion pour ces machines. Cet amour se retrouve dans la plupart de ses films, mais surtout dans Porco Rosso et Le vent se lève, mais aussi dans le nom du studio. Ces histoires courtes sont une manière pour lui de les remettre dans un contexte approprié.
Citroën 2CV ha 30-nen dai France-ki no matsuei na no de aru!! (La Citroën 2CV est la descendante des machines françaises des années 1930!!), Octobre 1985
シトロエン2CVは30年代フランス機の末裔なのである!!
Un essai illustré sur la voiture favorite de Miyazaki : La 2CV, où il explique qu’elle reflète l’idéologie graphique de l’aviation française des années 1930. Publié dans le magazine Model Graphix. Un extrait ici.
Zassô Note (Notes de rêveries (deuxième partie), Novembre 1986 ~ Mars 1987
雑想ノート(第2次連載)九州上空の重轟炸機/高射砲塔/Q・ship/安松丸物語
Deuxième salve d’histoires courtes publiées dans le magazine Model Graphix : Kyûshû jôkû no jûgôsakuki, Kôshahôtô, Q-ship et Anshômaru monogatari. Cette nouvelle série sera interrompue quand Miyazaki entamera la production de Mon Voisin Totoro. Vous pouvez lire plus d’informations sur ces histoires courtes sur le site Buta-Connection.

En cours d’écriture…

Source
1. http://www.ghibli-freak.net/miyazaki_hayao/works_other_than_animation.html

Au départ, je partais pour parler uniquement du manga Tetsujin 28 et de l’histoire de sa création avec les textes de Yokoyama dispo dans une édition publiée par Kôbunsha en 1996. Néanmoins, j’ai pensé qu’il serait plus intéressant d’aller plus loin en évoquant aussi le début de son parcours de mangaka.

Né en 1934 dans l’arrondissement de Suma à Kôbé, Mitsuteru Yokoyama est rapidement déporté avec sa famille dans la préfecture de Tottori où il grandit horrifié par la seconde guerre mondiale, comme beaucoup d’enfants de sa génération. À son retour, il est choqué par les paysages incendiés de sa ville natale, notamment par les Boeing B-29 qu’il perçoit comme les machines les plus destructrices de ce monde.


Au collège, Yokoyama découvre Metropolis de Osamu Tezuka. Il en lisait d’autres bien avant, mais c’est véritablement avec Metropolis qu’il commence à caresser le doux rêve de devenir mangaka. Mais ses débuts sont loin d’être aussi simples, car il sent qu’il n’est pas un grand dessinateur dans l’âme. Le temps libre pendant le collège et le lycée le mène à en profiter pour améliorer son tracé et dessiner quelques strips, comme la série Wakai-kun pour le journal de son bahut. On trouve également des planches d’une histoire courte, Hatake no takara, dans la rubrique Manga no Kanzume d’un supplément du magazine Manga Shônen (Janvier 1951). Ou encore Dream Town, une autre histoire courte dans la revue Shônen Shôjo Bokura Club du mois de juin 1952. Mais il décide finalement d’aller travailler dans une banque.

Les débuts dans le milieu du kashihon manga (manga à louer)

À la banque, sa passion pour le dessin ne fait que grandir, mais il n’a pas assez de temps libre. Au bout de quelques mois, il démissionne pour travailler comme dessinateur dans un studio de cinéma. Entre chaque mission, il se sert de son temps libre pour dessiner des scripts de manga qu’il envoie soit au magazine Tantei-oh (pour lequel on dénombre pas moins de 7 histoires courtes), ou bien à Tôkôdô, une maison d’édition de mangas à louer de Ôsaka. Ce n’est qu’en 1955 qu’il parvient enfin à ses débuts professionnels avec Otonashi no ken, une histoire de cape et d’épée (jidaigeki). S’ensuivent d’autres histoires courtes pour cet éditeur, Shirayuki monogatari (une version policière de Blanche-Neige) et Maken Rekken. Il rencontre enfin le succès et obtient même des félicitations de Tezuka. De là, il décide de déménager à Tokyo où Tezuka l’invite au Tokiwasô pour dessiner des planches de Tetsuwan Atom. Il n’y reste pas longtemps, mais sa bibliographie indique qu’il a dessiné plusieurs histoires écrites pour Osamu Tezuka (Ôgon toshi, Kairyû hatsuden, Tarzan no dôkutsu, Kamen no bôkenji). Je ne peux malheureusement pas dire où ces mangas ont été publiés. (edit du 18 août 2022 : J’ai désormais en ma possession Ôgon toshi, Kairyû hatsuden et Tarzan no dôkutsu (tous des suppléments pour le magazine Shônen publié en 1955). Je n’ai pas encore Kamen no bôkenji, mais il était publié dans Shônen Club en 1955.)


Tetsujin 28 !

En 1956, la maison d’édition Kôbunsha l’appelle et lui propose de republier Shirayuki Monogatari en série pour le magazine Shôjo. (Je parle bien du magazine, et non de la cible éditoriale). À partir de là, sa vie bascule totalement. Kôbunsha lui propose ensuite de dessiner d’autres histoires publiées en supplément (furoku), et une nouvelle série. Cette fois, c’est pour le magazine Shônen, celui-là même qui publie Tetsuwan Atom de Tezuka. Il leur envoie un script d’une ancienne histoire courte de science-fiction refusée par Tôkôdô : Kôtetsu Ningen 28-gô, mettant en scène un robot géant détruisant tout sur son passage. Comme on peut le deviner, ce script est le prototype de Tetsujin 28-gô.

À l’origine, Tetsujin 28 n’a rien de la figure héroïque qu’on lui attribue aujourd’hui, ni la même forme, bien qu’il soit toujours le fruit d’expérimentations hasardeuses de chercheurs complètement fous. Pendant la guerre du Pacifique, une branche de l’armée impériale japonaise, l’organisation PX-dan, souhaite construire une arme de destruction massive à l’image d’un robot géant. 27 tentatives, mais aucun d’entre eux ne survivent aux essaies. Le 28ème arrive à se stabiliser mais perd tout contrôle et commence à raser chaque ville qu’il croise sur son chemin.
Inspiré par Frankenstein et le Boeing B-29, Tetsujin 28 est conçu comme un engin de mort. Selon Yokoyama, l’histoire aurait dû en finir avec la destruction de Tetsujin 28 par le jeune détective Shôtarô Kaneda. Mais une enquête du magazine Shônen révèle que le manga a reçu un si excellent accueil et tant de lettres de fans qu’il a été difficile de le terminer comme prévu. Et si le robot n’était pas un ennemi ? Et si il était un gentil justicier de métal capable de voler dans le ciel ? De ces mots, Yokoyama pratique une pirouette scénaristique pour faire en sorte que Tetsujin 28 était en réalité Tetsujin 27, dont on a faussé la destruction, et que le véritable Tetsujin 28 se trouve toujours au fond de la base ennemie. (Ce qui étrangement incohérent, car il existe un deuxième Tetsujin 27 !). Un combat de titan plus tard, Tetsujin 28 finit par détruire Tetsujin 27. L’histoire semble prendre fin, mais Tetsujin 28 continue ses destructions. Fort heureusement, il existe une télécommande pour le contrôler et mettre fin à ses agissements.
Tetsujin 28 n’est ni gentil ni méchant. Il est une arme qui agit en fonction des mains qui le pilotent. Même si Kaneda le contrôle et nous paraît juste, il suffit de voler la télécommande pour que Tetsujin détruise à nouveau le monde. C’est ce questionnement qui subsiste tout au long du manga. La suite met alors en scène une multitude de mauvais personnages, surtout des savants fous : Dr. Franken Stein, Dr. Dragnet, Dr. Big Fire (c’était clairement pas ouf d’avoir un PhD), et des robots comme Black Ox, Satan, Fire Mark II, Gilbert, etc.
Le manga s’achève une dizaine d’années plus tard, en 1966. Entre 1953 et 1963, la télévision a également eu le temps de se démocratiser. Pour cette raison, le kashihon manga et le kamishibai ont peu à peu disparu, laissant place aux nombreux écrans, à leurs émissions de sport et aux premières séries en prises de vues réelles et d’animation. À l’instar de Tetsuwan Atom, Tetsujin 28 est d’abord adapté en séries live de science-fiction en 1960, puis en série d’animation à partir d’octobre 1963. Les séries rencontrent un franc succès et place Yokoyama parmi les piliers de la culture manga au même titre que Tezuka et Shôtarô Ishinomori.
Plus de 60 ans après, Tetsujin 28 est une figure emblématique de la culture populaire japonaise. On le considère comme le point de départ de l’immense histoire des supers robots héroïques japonais. Une statue a été installée dans le parc Wakamatsu à Kobé, et on en trouve parfois des plus petites aux entrées des boutiques de bonbon typique de l’ère Shôwa. D’autres adaptations animées ont vu le jour, une nouvelle toutes les décennies depuis 1980 et sont des suites directes. Mais pour ma part, j’ai une préférence pour la réécriture à l’ambiance roman noir de 2004 réalisée par Yasuhiro Imagawa. Ce dernier est aussi le réalisateur de la série d’OVA Giant Robo, une autre création de Mitsuteru Yokoyama.Je vais terminer cet article avec une petite anecdote. Je pense que beaucoup de fans d’Akira savent que le nom du héros, Shôtarô Kaneda, est inspiré de Tetsujin 28. Mais Shôtarô Kaneda est lui-même inspiré par une personnalité.
Yokoyama adorait l’équipe de baseball Kokutetsu Swallows (actuelle Tokyo Yakult Swallows). Il y avait un joueur appelé Masaichi Kaneda, le célèbre lanceur de l’équipe. L’équipe n’était pas particulièrement forte, même l’une des plus désastreuses, mais Kaneda leur a rapporté la victoire a de très nombreuses reprises. Yokoyama déclarait qu’il était très fort dans une équipe très faible, tel un allié de la justice. Pour son héros dans Tetsujin 28, il gardé son prénom, Kaneda, et le premier kanji de son prénom, masa, qui se lit aussi shô (正). Tarô était seulement le prénom le plus commun des japonais de cette époque, ce qui permettait à n’importe quel enfant de se reconnaître.

Les biwa-hoshi, joueurs de luth ambulant, les yukar, poèmes du peuple aïnu, les setsuwa, anecdotes fictives et amusantes, ou encore les récits épiques du gunki monogatari. Quand on ajoute des images à ces traditions orales japonaises, on obtient le kamishibai, une création artistique déguisée en spectacle de rue à mi-chemin entre le théâtre et la bande-dessinée.

Si le kamishibai est apparu peu après 1925, il n’a été florissant qu’entre les années 1930 et 1950, et dénombre près de 25000 conteurs (les gaito kamishibai-ya). La raison d’un si grand nombre de conteurs est principalement dû au krash boursier de 1929. Celui-ci n’a pas seulement touché les Etats-Unis, mais de nombreux autres pays dans le monde, dont le Japon. Encore faible à cette époque, l’économie des pays asiatiques dépendent en grande partie des échanges commerciaux avec les pays occidentaux. C’est pourquoi augmenter les charges pour faire du profit parait être la solution idéale pour l’améliorer. Malheureusement, le krash boursier a fait sombrer le Japon dans sa plus grande dépression économique en plus d’une funeste politique de déflation à cause du Rikken Minseitô, le Parti Démocratique Constitutionnel.

Avec un marché du travail bouché et une production au ras du sol, les gens sont en colère et ils ont faim. Pour survivre, certains participent au développement du kashihon, que ce soit pour écrire des nouvelles ou dessiner de la BD. D’autres dessinent des histoires sur des grandes affiches cartonnées qu’ils mettent également en location. Les conteurs de kamishibai les louent pour trois fois rien et s’arment d’un cadre en bois monté sur une bicyclette pour aller raconter les exploits de multiples héros. Pendant cette opération, ils font défiler une vingtaine d’images, ils modifient leur voix et les expressions. Des marionnettes en papier étaient aussi chose courante. Les représentations commence avec le claquement d’un instrument de musique, le hyôshigi. Le son attire les enfants des environs qui s’amassent autour du conteur. Ils pouvent aussi acheter des bonbons et des gâteaux pour obtenir le privilège de se placer tout devant.

Parmi les illustrateurs les plus célèbres, Takeo Nagamatsu est le créateur du premier super-héros japonais : Ôgon Bat. En 1930, Nagamatsu n’a que 18 ans lorsqu’il collabore avec le scénariste Ichirô Suzuki pour créer ce personnage aux allures sinistres de squelette doré. Vêtu d’une cape en rouge et noir et armé d’un sceptre, Ôgon Bat est le défenseur de la justice venu d’Atlantis pour se battre contre le syndicat du crime mené d’une poigne de fer par le Dr. Erich Nazô. Le justicier apparaît d’abord sous la forme d’une chauve-souris, puis il prend la forme d’un squelette tout en riant d’un air démoniaque. Ôgon Bat devient rapidement et extrêmement populaire auprès des jeunes garçons, avec près d’une histoire par jour racontées entre 1931 et 1933.

N’ayant pas de droit, l’histoire et son héros ont été récupérés par de nombreux auteurs. Réadaptée en kamishibai par Kôji Kata à partir de 1932. Adaptées en manga par Osamu Tezuka en 1947, en film par le réalisateur Sonny Chiba en 1966, puis en série d’animation par le studio TCJ en 1967. Takeo Nagamatsu se réapproprie le personnage pour une série de livres illustrés entre 1946 et 1958, comptant 11 histoires publiées dans divers magazines de prépublication tels Shônen Book et Shônen Club.

Avec l’arrivée de la télévision au Japon en 1953, les enfants délaissent peu à peu les spectacles de rue pour les retransmissions sportives, les émissions de variété et les séries de science-fiction, le nez plaqué contre les vitrines.

Vous pouvez découvrir bien plus de détails sur le kamishibai et ses héros en lisant l’ouvrage Manga Kamishibai – Du théâtre papier à la BD japonaise de l’américain Eric P. Nash.

Sources
http://homepage3.nifty.com/kaihokei/Emonogatari.htm
http://ogonbatter.web.fc2.com/list.html
http://delphiessential.comicgenesis.com/Essay.htm
http://www.grips.ac.jp/teacher/oono/hp/lecture_J/lec09.htm
http://www.sf-encyclopedia.com/entry/kamishibai
http://www.waseda.jp/prj-m20th/yamamoto/profile/books/book00_10/content.htm
http://www.timsheppard.co.uk/story/dir/traditions/asiamiddleeast.html

J’ai publié cet article voila bien longtemps (vers 2014 ou 2015, je crois) sur mon ancien blog. J’ai retouché un peu, sans plus, la plupart des images ont disparues entre temps.