Mitsuteru Yokoyama et Tetsujin 28
Au départ, je partais pour parler uniquement du manga Tetsujin 28 et de l’histoire de sa création avec les textes de Yokoyama dispo dans une édition publiée par Kôbunsha en 1996. Néanmoins, j’ai pensé qu’il serait plus intéressant d’aller plus loin en évoquant aussi le début de son parcours de mangaka.
Né en 1934 dans l’arrondissement de Suma à Kôbé, Mitsuteru Yokoyama est rapidement déporté avec sa famille dans la préfecture de Tottori où il grandit horrifié par la seconde guerre mondiale, comme beaucoup d’enfants de sa génération. À son retour, il est choqué par les paysages incendiés de sa ville natale, notamment par les Boeing B-29 qu’il perçoit comme les machines les plus destructrices de ce monde.



Les débuts dans le milieu du kashihon manga (manga à louer)
À la banque, sa passion pour le dessin ne fait que grandir, mais il n’a pas assez de temps libre. Au bout de quelques mois, il démissionne pour travailler comme dessinateur dans un studio de cinéma. Entre chaque mission, il se sert de son temps libre pour dessiner des scripts de manga qu’il envoie soit au magazine Tantei-oh (pour lequel on dénombre pas moins de 7 histoires courtes), ou bien à Tôkôdô, une maison d’édition de mangas à louer de Ôsaka. Ce n’est qu’en 1955 qu’il parvient enfin à ses débuts professionnels avec Otonashi no ken, une histoire de cape et d’épée (jidaigeki). S’ensuivent d’autres histoires courtes pour cet éditeur, Shirayuki monogatari (une version policière de Blanche-Neige) et Maken Rekken. Il rencontre enfin le succès et obtient même des félicitations de Tezuka. De là, il décide de déménager à Tokyo où Tezuka l’invite au Tokiwasô pour dessiner des planches de Tetsuwan Atom. Il n’y reste pas longtemps, mais sa bibliographie indique qu’il a dessiné plusieurs histoires écrites pour Osamu Tezuka (Ôgon toshi, Kairyû hatsuden, Tarzan no dôkutsu, Kamen no bôkenji). Je ne peux malheureusement pas dire où ces mangas ont été publiés. (edit du 18 août 2022 : J’ai désormais en ma possession Ôgon toshi, Kairyû hatsuden et Tarzan no dôkutsu (tous des suppléments pour le magazine Shônen publié en 1955). Je n’ai pas encore Kamen no bôkenji, mais il était publié dans Shônen Club en 1955.)



Tetsujin 28 !
En 1956, la maison d’édition Kôbunsha l’appelle et lui propose de republier Shirayuki Monogatari en série pour le magazine Shôjo. (Je parle bien du magazine, et non de la cible éditoriale). À partir de là, sa vie bascule totalement. Kôbunsha lui propose ensuite de dessiner d’autres histoires publiées en supplément (furoku), et une nouvelle série. Cette fois, c’est pour le magazine Shônen, celui-là même qui publie Tetsuwan Atom de Tezuka. Il leur envoie un script d’une ancienne histoire courte de science-fiction refusée par Tôkôdô : Kôtetsu Ningen 28-gô, mettant en scène un robot géant détruisant tout sur son passage. Comme on peut le deviner, ce script est le prototype de Tetsujin 28-gô.
Inspiré par Frankenstein et le Boeing B-29, Tetsujin 28 est conçu comme un engin de mort. Selon Yokoyama, l’histoire aurait dû en finir avec la destruction de Tetsujin 28 par le jeune détective Shôtarô Kaneda. Mais une enquête du magazine Shônen révèle que le manga a reçu un si excellent accueil et tant de lettres de fans qu’il a été difficile de le terminer comme prévu. Et si le robot n’était pas un ennemi ? Et si il était un gentil justicier de métal capable de voler dans le ciel ?

Tetsujin 28 n’est ni gentil ni méchant. Il est une arme qui agit en fonction des mains qui le pilotent. Même si Kaneda le contrôle et nous paraît juste, il suffit de voler la télécommande pour que Tetsujin détruise à nouveau le monde. C’est ce questionnement qui subsiste tout au long du manga. La suite met alors en scène une multitude de mauvais personnages, surtout des savants fous : Dr. Franken Stein, Dr. Dragnet, Dr. Big Fire (c’était clairement pas ouf d’avoir un PhD), et des robots comme Black Ox, Satan, Fire Mark II, Gilbert, etc.
Le manga s’achève une dizaine d’années plus tard, en 1966. Entre 1953 et 1963, la télévision a également eu le temps de se démocratiser. Pour cette raison, le kashihon manga et le kamishibai ont peu à peu disparu, laissant place aux nombreux écrans, à leurs émissions de sport et aux premières séries en prises de vues réelles et d’animation. À l’instar de Tetsuwan Atom, Tetsujin 28 est d’abord adapté en séries live de science-fiction en 1960, puis en série d’animation à partir d’octobre 1963. Les séries rencontrent un franc succès et place Yokoyama parmi les piliers de la culture manga au même titre que Tezuka et Shôtarô Ishinomori.




Yokoyama adorait l’équipe de baseball Kokutetsu Swallows (actuelle Tokyo Yakult Swallows). Il y avait un joueur appelé Masaichi Kaneda, le célèbre lanceur de l’équipe. L’équipe n’était pas particulièrement forte, même l’une des plus désastreuses, mais Kaneda leur a rapporté la victoire a de très nombreuses reprises. Yokoyama déclarait qu’il était très fort dans une équipe très faible, tel un allié de la justice. Pour son héros dans Tetsujin 28, il gardé son prénom, Kaneda, et le premier kanji de son prénom, masa, qui se lit aussi shô (正). Tarô était seulement le prénom le plus commun des japonais de cette époque, ce qui permettait à n’importe quel enfant de se reconnaître.
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