Ôten Shimokawa, le premier réalisateur de film d’animation japonais
Ôten Shimokawa (ou Hekoten. Son vrai prénom est Sadanori) est un mangaka et réalisateur de film d’animation. A ce titre, il est aussi considéré comme étant le premier réalisateur de film d’animation du Japon (dans sa forme la plus moderne, donc sans parler de la proto-animation, sinon on remonte beaucoup plus loin) et l’un des trois pionniers du medium avec Jun’ichi Kôchi et Seitarô Kitayama.
Jeunesse et début dans le milieu du manga

Shimokawa est né le 2 mai 1892 à Miyakojima dans la préfecture d’Okinawa. Son père faisait parti de la première génération des proviseurs des écoles primaires du pays et travaillait à celle de la ville d’Hirara. Malheureusement, ce dernier décède en 1896, Shimokawa n’a que 4 ans. Il déménage avec sa mère dans la demeure de sa famille maternelle à Kagoshima. En 1900, son oncle qui travaille à l’armée à Tokyo décide de le prendre en charge.
En mars 1906, alors âgé de 13 ans, Shimokawa obtient son diplôme de l’école primaire de Kôjimachi et devient l’apprenti du mangaka Rakuten Kitazawa (celui là-même qui donne au manga son sens le plus moderne) en tombant sur une publicité de recrutement pour la revue Tokyo Puck. Au début Kitazawa lui fournit un toit en échange de travaux domestiques. C’est à ce moment-là qu’il commence à utiliser le pseudonyme Ôten. En 1907, sur la recommandation de Kitazawa, Shimokawa entre à l’institut d’Aoshima, mais il abandonne un an plus tard. Kitazawa l’excommunie. Pour autant, Shimokawa continue d’étudier le manga, tout seul, tout en travaillant au Ministère de l’Armée.

En 1912, Rakuten Kitazawa délaisse la revue Tokyo Puck et fonde l’entreprise Rakuten Puck. A ce moment-là, il reçoit une lettre de Shimokawa. « Ce que je suis maintenant n’est pas ce que j’étais autrefois. ». En lisant cette lettre, Kitazawa lui propose de revenir. Il devient alors un employé de l’entreprise, mais aussi un mangaka à titre professionnel où il entame une carrière dans plusieurs revues, dont Tokyo Puck. C’est d’ailleurs dans cette revue qu’il publie une série de bande dessinée mettant en scène le personnage Imokawa Mukuzô. Un personnage qu’il réutilise plus tard dans plusieurs films. En 1916, il publie l’ouvrage Ponchi Shôzô à la maison d’édition Shojo Shuppan. Il est approché par une vingtaine de mangakas pour y participer, à commencer par Kitazawa, puis les célèbres Ippei Okamoto et Jun’ichi Kôchi. Cette même année, il se marie avec Tamako, sa première femme.
Un pionnier de l’animation japonaise
En 1916, un employé du studio de cinéma Tenkatsu demande à l’entreprise Rakuten Puck qu’on lui présente une personne suffisamment talentueuse pour produire un film d’animation. Et après des discussions, c’est Ôten Shimokawa qui est recommandé. Bien entendu, il accepte ce travail avec enthousiasme et signe un contrat avec le studio en échange d’un salaire mensuel de 50 yens (+ une commission).
Comme il n’a pas assez de matériel, Shimokawa commence à étudier l’animation. Il faut savoir qu’à la même époque, son ancien collègue, Jun’ichi Kôchi, a été engagé par le studio Kobayashi Shôkai, tandis que Seitarô Kitayama travaille pour le studio Nikkatsu (depuis déjà 1 ou 2 ans).
On ne connait pas tellement les détails des péripéties de cette époque, mais c’est finalement Ôten Shimokawa qui gagne la course à la production d’animation avec un premier film intitulé Dekobô Shingachô Imosuke Shishigari no maki (Imosuke le chasseur). Il est diffusé pour la première fois en salle en janvier 1917. On a souvent raconté que le premier film d’animation a été Dekobô Shingachô Imokawa Mukuzô Genkanban no Maki (Mukuzô Imokawa, le concierge, avril 1917), mais selon Frederick S. Litten, et un texte présent dans la revue Kinema Record du mois de mai 1917, Genkanban no Maki est en réalité le troisième film de Shimokawa, à une exception près. Le film Dekobô Shingachô Meian no Shippai (L’échec de la bonne idée), qui a été diffusé en février, est en fait le film intitulé Imosuke Shishigari qui a été renommé à l’occasion de sa diffusion le 1er février 1917 dans la salle de cinéma Asakusa Kinema Kurabu. Cette information apparaît dans la revue Katsudô Shashin Zasshi du mois de mars 1917. Des récentes recherches dans la plupart des anciennes revues de cinéma datant de cette époque, comme Kinema Record et Kinema Kurabu, ont permis de remettre de l’ordre dans la chronologie de l’animation (voir la filmographie de Shimokawa plus bas). Mais il se pourrait bien que d’autres titres apparaissent. Il faut savoir aussi que le grand tremblement de terre de Kantô en 1923 et les bombardements de la seconde guerre mondiale ont probablement détruits des dizaines de films et des revues. Dans cette situation, une filmographie complète ne pourra jamais exister.
Quelques mots sur les techniques employées

Pour parvenir à produire ce film, Shimokawa dessine à la craie blanche sur un tableau noir, une technique similaire à celle de James Stuart Blackton pour le film Humorous Phases of Funny Faces. Le dessin terminé, il en prend une photo puis efface une partie ou l’ensemble pour dessiner le dessin suivant, prendre une nouvelle photo, et ainsi de suite. Selon Nobuyuki Tsuguta (un autre chercheur sur l’animation japonaise), Shimokawa aurait utilisé cette technique jusqu’à son troisième film : Chamebô shingachô Nomi fufû shikaeshi no maki (à moins que cela ne soit le quatrième film, mais on ne sait pas vraiment).
Pour ses films suivants, Shimokawa fait imprimer une certaine quantité de décors qu’il repeint en blanc. Puis il dessine les personnages par dessus et prend chaque image en photo. La technique est assez similaire à celle qu’on utilisera plus tard, mais avec des celluloïds afin d’éviter de repeindre par dessus, et surtout, afin d’éviter d’utiliser autant de papiers. Malheureusement, l’usage fréquent de l’appareil et de son ampoule a fini par abimer ses yeux au point de le pousser à quitter le studio et le métier d’animateur seulement un an et demi après son arrivée à Tenkatsu. Ce problème est aussi le premier d’une longue liste de soucis liés à la production de l’animation japonaise.
Retour dans le milieu du manga
Cette partie est étonnamment plus complexe à écrire que je ne le pensais. Et pour cause, les informations sur sa carrière de mangaka sont encore moins connues et sont donc éparpillées n’importe comment dans les bouquins. Je préfère résumer tout ça dans un article dédié à sa carrière de mangaka afin de ne pas tout mélanger et de préserver une cohérence avec le sommaire du blog. Je posterai le lien ici quand l’article sera prêt. 🙂
Filmographie (Celle-ci est la plus complète à ce jour, publié le 10 mars 2020 dans l’ouvrage Nippon Anime Sôseiki)
Dekobô Shingachô Imosuke Shishigari no Maki | Janvier 1917 | Tenkatsu |
Dekobô Shingachô Meian no Shippai (on pense que c’est l’autre nom du film cité au dessus, il a été diffusé en février 1917 à Asakusa) |
Février 1917 | Tenkatsu |
Imokawa Mukuzô Genkanban no Maki | Avril 1917 | Tenkatsu |
Chamebô Shingachô Nomi no Adauchi (autre nom : Chamebô Shingachô Nomi Fûfu no Maki) |
21 Avril 1917 | Tenkatsu |
Imokawa Mukuzô Chûgaeri no Maki | Mai 1917 | Tenkatsu |
Imokawa Mukuzô Kûkikyû no Maki | 21 mai 1917 | Tenkatsu |
Usagi to Kamé | 14 juillet 1917 | Tenkatsu |
Imokawa Mukuzô Chaplin no Maki | 14 juillet 1917 | Tenkatsu |
Chamebôzu Otsuri no Maki (aussi appelé Imokawa Mukuzô Tsuri no Maki) |
9 septembre 1917 | Tenkatsu |
Bunten no Maki | Tenkatsu | |
O nabé to Kuroneko no Maki | Tenkatsu |
Ressources
- Animated Film in Japan until 1919. Western animation and the beginnings of anime, Frederick S. Litten, 172p, Norderstedt: Books on Demand, 2017.
- Nippon Anime Sôseiki (にっぽんアニメ創生記, Chroniques de la naissance de l’animation japonaise), Yasushi Watanabé, Natsuki Matsumoto, Frederick S. Litten, 320p, Shûeisha, 2020.
Ressources en ligne
- Some remarks on the first Japanese animation films in 1917, Frederick S. Litten, Document PDF, 13p.