Le titre de cette nouvelle série d’articles fait référence à un dossier désormais célèbre du magazine Animage publié le 10 août 1981 : Miyazaki Hayao: Bôken to roman no sekai. Ecrit par Toshio Suzuki, il fait le point sur le travail du maître de l’animation, de ses débuts jusqu’à la sortie du Château de Cagliostro, avec notamment 12 pages sur la production de Mirai Shônen Conan, une petite interview de 4 pages sur ses débuts au studio Tôei jusqu’à Hols, prince du soleil, (petite car il y a énormément d’images), 7 pages sur son parcours entre les studio A Pro (Panda Kopanda, Lupin the Third), Zuiyô Eiga (Heidi, Marco, Conan et Anne) et enfin Telecom (Le château de Cagliostro). S’ensuivent plusieurs textes de Isao Takahata, Yasuo Ôtsuka et Yutaka Fujioka qui ne tarissent pas d’éloges à son encontre sur pas moins de 7 pages. En somme, il s’agit du dossier le plus complet (à cette époque) sur un jeune réalisateur qui a encore un grand avenir devant lui. Et cerise sur le gâteau, la toute première page du dossier publie aussi deux croquis tout droit sortis de nulle part, menant tous les amateurs du maître à se poser des questions. Ils viennent du projet de film Sengoku Majo que Miyazaki a proposé à Tokuma en juillet 1981.

J’ai auparavant fait le point sur le rôle de Toshio Suzuki aux premières heures d’Animage et son premier contact avec Takahata et Miyazaki en 1978. (à lire ici et ici). Mais cette fois, je vais résumer ce qu’il se trame de l’autre côté de la ligne avec le duo de réalisateurs jusqu’à cette proposition de film refusée.

Au moment du coup de téléphone, Miyazaki travaille à la fois sur Mirai Shônen Conan et Akage no An. Quant à Takahata, il est en même temps sur Akage no An et Gauche le violoncelliste. Autant dire qu’ils ne chôment pas.
Même si la diffusion de Conan a commencé en avril 1978, la production de l’animation de la série a commencé un peu plus tôt, autour d’octobre 1977. Au moment de la diffusion du premier épisode, seulement huit d’entre eux ont été produits. Comme Miyazaki a besoin de 10 à 15 jours pour produire un épisode, il a fini par demander de l’aide à Isao Takahata et à Keiji Hayakawa sur la réalisation des épisodes (Takahata officie comme co-directeur technique sur l’épisode 9 et 10, et Keiji Hayakawa sur les épisodes 11 à 26). Mais malgré cela, il y a des retards et la chaîne NHK ne peut diffuser les épisodes comme prévu à plusieurs reprises (j’ai d’ailleurs compté cinq non diffusion, mais il se pourrait qu’il y ait aussi d’autres raisons liées à la chaîne). Takahata travaillait déjà avec lui sur la production des storyboards (ep. 7, 9, 10, 13, 20). On résume comme on peut…

Quant à Takahata, il a entamé la réalisation des épisodes de Akage no An. A chaque fois qu’il travaillait sur une série (je pense à Heidi et Marco), il mettait plus ou moins en pause la production de Gauche le violoncelliste. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle la production (de l’animation) de ce film a duré cinq ans. Takahata a demandé à Miyazaki de l’aider sur la production des layouts de Akage no An. Et comme ce dernier lui avait demandé de l’aide sur Conan, c’était un moyen pour Miyazaki de lui rendre la pareille. Néanmoins, il y a eu un différent artistique entre les deux compères sur la manière d’interpréter et d’adapter les personnages de l’histoire. Dans son livre Ce à quoi je pense quand je produis mes films, Isao Takahata parle de cette histoire et de cette différence. Pour faire bref, Takahata adapte les personnages d’un point de vue réaliste en gardant leur mentalité à l’esprit, qu’ils soient ennuyeux ou non. Quant à Miyazaki, chaque personnage doit avoir son importance, quitte à trahir l’œuvre. Miyazaki en a fini par détester Anne. Il lâche l’affaire après 15 épisodes et décide de quitter le studio.

Bien sûr, il ne quitte pas non plus le studio sur un coup de tête. En fait, Yasuo Ôtsuka, qui travaille au studio Telecom Animation Film à ce moment-là, lui a passé un coup de téléphone pour lui parler d’un projet autour du célèbre gentleman cambrioleur, Lupin the Third. Donc quand Miyazaki part du studio Nippon Animation, c’est aussi pour filer jusqu’au studio Telecom Animation Film. Et c’est aussi là que toute une nouvelle aventure l’attend.

Le layout est un document interprétant un plan du storyboard, accompagné ou non d’un ou plusieurs éléments issus des bibles des croquis (settei). Il donne des instructions aux animateurs et aux décorateurs, avec un système de cadres définissant le positionnement des éléments dans le décor, leurs mouvements et les mouvements de caméra. En général, le layout a la dimension d’une feuille A4, mais il peut avoir des dimensions beaucoup plus importantes, parfois plusieurs feuilles scotchées les unes aux autres avec un décor gigantesque. Le layout est généralement dessiné par un animateur qui s’occupe ensuite des poses clés du plan en question.

layout mononnoke ghibliUn layout du film Princesse Mononoké. ©Studio Ghibli

Cette intro est à l’origine une description présentée dans mon mémoire de M1 en 2014. Entre temps, j’ai pu découvrir de nombreux autres détails sur les layout et leurs fonctionnalités en discutant avec des animateurs et en lisant plusieurs ressources. Revoyons tout ça.

A quoi ressemble un layout ?

Selon le site de l’AJA, une feuille de layout (layout yôshi) est blanche, d’une taille A4, avec un ou plusieurs cadres internes en pointillés de différentes tailles qui s’accordent aux tailles standards des écrans de télévision ou de cinéma.
Le cadre interne en trait plein noir mesure (à peu de chose près) 25,4cm:14,28cm (soit 16:9). Quant aux autres cadres en pointillés, celui le plus à l’extérieur est un scan frame. C’est généralement le cadre à ne pas dépasser, mais certains artistes ne s’en soucient pas. Enfin, même si il n’apparaît pas sur l’illustration, on peut parfois voir un cadre en pointillé à l’intérieur du cadre en trait plein. Ce dernier est un cadre de sécurité (anzen frame) qui fixe une marge de sécurité vis-à-vis des différents standards des écrans de télévision.

Bien sûr, il existe des variations comme on peut le voir avec le layout de Princesse Mononoké au dessus qui est nettement plus allongé, ou bien celui de Akagé no An plus bas dont le format télévisuel standard à cette époque était le 4:3. Tout dépend donc du studio, du format du sujet et de l’époque.

layout aja

Tout en haut du layout, nous pouvons voir une #, la lettre C et le mot TIME.
Le C indique le numéro de la séquence, ou cut en anglais, de l’épisode #. Sur d’autres layout, le # est absent, ou bien y trouver un S en bonus. Le S indique la scène entière qui est composée de plusieurs séquences.
Quant à TIME, il s’agit de la durée (en seconde) de la séquence en question. Et enfin le + indique le temps additionnel imprévu.
Par exemple, si on regarde encore une fois le layout de Princesse Mononoke, nous avons C 730 et Time (5+0). On comprend alors qu’il s’agit de la séquence 730 du film et qu’elle dure 5 secondes avec aucun temps additionnel.

Enfin, chaque studio pose son nom ou son logo à droite ou gauche. Studio Ghibli dans le cas de Princesse Mononoké, Nippon Animation dans le cas de Akagé no An.

layout akage no an nippon animationLayout de l’épisode 9 de la série Akage no An. ©Nippon Animation.

Le layout system, comment ça marche ?

La création des layout est une étape très importante. D’après plusieurs exosquelettes de production d’une animation (et malgré quelques variations), elle est la première étape de la deuxième des trois grandes phases de production entre l’étape du storyboard et la création des animations-clés. Le layout est dessiné à partir du storyboard, et les animations-clés sont dessinés à partir du layout. Ce passage de l’un à l’autre s’opère selon un layout system.
Néanmoins, depuis quelques années maintenant, ce layout system a subit quelques modifications et se produirait parfois en même temps que le premier travail d’animation-clé (Genga/Key Animation -> Rough Layout), et le rôle de Second KA/Genga qui serait désormais similaire à l’ancien rôle de l’animateur-clé, mais je n’ai pas encore assez de détails pour l’exprimer convenablement.

Ce layout system est important car, même si le storyboard renseigne déjà beaucoup d’informations, le layout permet d’obtenir une structure et une vue d’ensemble plus grande, d’y voir les personnages, les informations sur leurs mouvements, le décors en détail et son équilibre, la source de la lumière ou du vent, les effets spéciaux, ou encore les informations sur le mouvement de la caméra, l’angle des personnages, le tout en une seule image.

Qui dessine ? Le plus souvent, les animateurs-clés. Une fois que le réalisateur leur a attribué les scènes du storyboard (il arrive aussi que les animateurs-clés les choisissent), ces derniers dessinent une première version des layout à partir des indications. Une fois dessinés, le réalisateur (ou le directeur technique dans le cas d’une série TV) ou le directeur de l’animation vérifie leur cohérence. Si jamais il y a des défauts, ils apportent des corrections, ou redessine tout (si ils ont le temps), sur une feuille de layout colorée. Selon les corrections à apporter, ils peuvent être retournés à l’animateur-clé qui doit alors redessiner le layout pour de bon. Bien sûr, si le layout n’a pas de défaut, cette dernière étape n’est pas nécessaire.
Enfin, cas particulier, si le réalisateur est doué en dessin, il peut également les dessiner ou les redessiner lui-même, comme le fait Hayao Miyazaki.

Un peu d’histoire

Le layout system n’est pas apparu dès les premières heures de l’animation japonaise. En fait, cette étape a été consolidée et popularisée assez tardivement, aux alentours de 1974 lors de la création de la série Heidi, petite fille des Alpes. Sous la direction d’Isao Takahata, Hayao Miyazaki a redessiné les plans du storyboard avec le maximum de détails possible issue de la bible des croquis (settei) de la série, tels les décors, les personnages et les objets. Miyazaki dessinait plus de 300 layout et des croquis d’animations-clés par épisode chaque semaine. Grâce à cette nouvelle méthode, bien que fastidieuse, Isao Takahata pouvait déjà se faire une idée de sa réalisation avant que les animateurs ne commencent à dessiner les clés et les intervalles. Désormais, la plupart des studios passent par cette étape.

layout heidi hayao miyazakiLayout de Heidi, épisode 5, cut 232. ©Zuiyô Eizô ©Nippon Animation

Certe, La série Heidi peut être considérée comme un tournant majeur dans l’histoire de la production d’animation. Mais comme l’indique le compte-rendu d’une conférence sur l’histoire des layout (donnée par le syndicat JAniCA en 2015) et les détails évoqués par Yasuo Ôtsuka dans l’ouvrage Studio Ghibli Layout Designs, il existerait des traces de ce qu’on peut désormais appeler les prémisses des layout, et cela depuis la production du film Hakujaden en 1958, et aussi pendant le court-métrage Koneko no Studio (1959) de Yasuji Mori. Mais au départ, les indications sur la position des éléments et des personnages figuraient directement dans les espaces blancs sur ce qui s’apparentait à un storyboard (e-konte en japonais, celui d’Hakujaden a été dessiné par le mangaka Kazuhiko Ôkabe avant d’être repris et modifié par Daikuhara et Mori).
Après quoi, le premier tournant majeur de la forme du layout intervient pendant la production du film Hols, le prince du soleil de Isao Takahata. Si le film a connu une production hasardeuse et a fait un terrible flop au cinéma, il n’en reste pas moins l’un des films les plus innovant de toute l’histoire de l’animation japonaise. (partie en cours d’écriture/mise à jour…)

Cas particuliers

Plus haut, je mentionne des cas particuliers par rapport aux formats du film ou de la série, donc il n’est pas nécessaire de revenir dessus. Mais il en existe un autre où la vue d’ensemble de la scène est plus grande que le cadre de la télévision ou de la toile. Cela intervient quand la caméra doit se déplacer horizontalement, verticalement ou bien en diagonal, ou encore si il faut zoomer ou dézoomer. Pour bien l’expliciter, les animateurs-clés ou le réalisateur n’hésitent pas à scotcher plusieurs feuilles de layout ensemble. Le résultat est parfois très impressionnant.

layout gundam sunriseLayout (en bas) de la série Mobile Suit Gundam + cellulo en haut. ©Sunrise
layout chihiro ghibliLayout du film Le voyage de Chihiro. ©Studio Ghibli
layout daiconCelle-ci vient du court-métrage Daicon 3 qui sert d’introduction à la convention de science-fiction Daicon 3 à Ôsaka. Il s’agit d’un autre cas particulier, signé DAICON FILM, un cercle amateur de la jeunesse d’Hideaki Anno. Tout a été dessiné sur des feuilles ordinaires sans aucun cadre particulier. ©DAICON FILM
Dr. Slump, épisode 89, cut 107. Ici on peut voir la forme d’un ancien cadre de télévision, avec les bords arrondis. ©Sunrise

Bibliographie

  1. アニメーション用語事典 (Animation yôgo jiten, Animation terminology dictionnary), 一般社団法人日本動画協会人材育成委員会, Rittôsha, 21/02/2019.
  2. スタジオジブリレイアウト展 (Studio Ghibli Layout Designs), Studio Ghibli, 2008.
  3. アニメーションノートN°01 (Animation Note N°01), Seibundô shinkôsha, 12/2005.

Ressources en ligne

  1. https://aja.gr.jp/jigyou/chousa/aja_layout
  2. http://www.madhouse.co.jp/special/oginyan/oginyann_01_a.html
  3. http://www.furansujinconnection.com/les-etapes-de-fabrication/ (aller jusqu’à la partie Genga / Layout+Poses-clés
  4. JAniCA主催『レイアウトの歴史講座』(Conférence sur l’histoire des layout, organisé par JAniCA), 31/01/2015
  5. Création et coopération: l’étape du layout dans la production d’animation traditionnelle, Marie Pruvost-Delaspre, Création Collective au Cinéma, 2019.

Le plus gros du sujet est écrit, mais j’aime bien repasser dessus pour peaufiner les détails, ajouter ou réécrire des passages, corriger des fautes… Si vous avez des questions, n’hésitez pas à m’en parler sur Facebook : https://www.facebook.com/limitedanimation

Dernière MaJ : 9 octobre 2019 – 2 février 2021