Le titre de cette nouvelle série d’articles fait référence à un dossier désormais célèbre du magazine Animage publié le 10 août 1981 : Miyazaki Hayao: Bôken to roman no sekai. Ecrit par Toshio Suzuki, il fait le point sur le travail du maître de l’animation, de ses débuts jusqu’à la sortie du Château de Cagliostro, avec notamment 12 pages sur la production de Mirai Shônen Conan, une petite interview de 4 pages sur ses débuts au studio Tôei jusqu’à Hols, prince du soleil, (petite car il y a énormément d’images), 7 pages sur son parcours entre les studio A Pro (Panda Kopanda, Lupin the Third), Zuiyô Eiga (Heidi, Marco, Conan et Anne) et enfin Telecom (Le château de Cagliostro). S’ensuivent plusieurs textes de Isao Takahata, Yasuo Ôtsuka et Yutaka Fujioka qui ne tarissent pas d’éloges à son encontre sur pas moins de 7 pages. En somme, il s’agit du dossier le plus complet (à cette époque) sur un jeune réalisateur qui a encore un grand avenir devant lui. Et cerise sur le gâteau, la toute première page du dossier publie aussi deux croquis tout droit sortis de nulle part, menant tous les amateurs du maître à se poser des questions. Ils viennent du projet de film Sengoku Majo que Miyazaki a proposé à Tokuma en juillet 1981.

J’ai auparavant fait le point sur le rôle de Toshio Suzuki aux premières heures d’Animage et son premier contact avec Takahata et Miyazaki en 1978. (à lire ici et ici). Mais cette fois, je vais résumer ce qu’il se trame de l’autre côté de la ligne avec le duo de réalisateurs jusqu’à cette proposition de film refusée.

Au moment du coup de téléphone, Miyazaki travaille à la fois sur Mirai Shônen Conan et Akage no An. Quant à Takahata, il est en même temps sur Akage no An et Gauche le violoncelliste. Autant dire qu’ils ne chôment pas.
Même si la diffusion de Conan a commencé en avril 1978, la production de l’animation de la série a commencé un peu plus tôt, autour d’octobre 1977. Au moment de la diffusion du premier épisode, seulement huit d’entre eux ont été produits. Comme Miyazaki a besoin de 10 à 15 jours pour produire un épisode, il a fini par demander de l’aide à Isao Takahata et à Keiji Hayakawa sur la réalisation des épisodes (Takahata officie comme co-directeur technique sur l’épisode 9 et 10, et Keiji Hayakawa sur les épisodes 11 à 26). Mais malgré cela, il y a des retards et la chaîne NHK ne peut diffuser les épisodes comme prévu à plusieurs reprises (j’ai d’ailleurs compté cinq non diffusion, mais il se pourrait qu’il y ait aussi d’autres raisons liées à la chaîne). Takahata travaillait déjà avec lui sur la production des storyboards (ep. 7, 9, 10, 13, 20). On résume comme on peut…

Quant à Takahata, il a entamé la réalisation des épisodes de Akage no An. A chaque fois qu’il travaillait sur une série (je pense à Heidi et Marco), il mettait plus ou moins en pause la production de Gauche le violoncelliste. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle la production (de l’animation) de ce film a duré cinq ans. Takahata a demandé à Miyazaki de l’aider sur la production des layouts de Akage no An. Et comme ce dernier lui avait demandé de l’aide sur Conan, c’était un moyen pour Miyazaki de lui rendre la pareille. Néanmoins, il y a eu un différent artistique entre les deux compères sur la manière d’interpréter et d’adapter les personnages de l’histoire. Dans son livre Ce à quoi je pense quand je produis mes films, Isao Takahata parle de cette histoire et de cette différence. Pour faire bref, Takahata adapte les personnages d’un point de vue réaliste en gardant leur mentalité à l’esprit, qu’ils soient ennuyeux ou non. Quant à Miyazaki, chaque personnage doit avoir son importance, quitte à trahir l’œuvre. Miyazaki en a fini par détester Anne. Il lâche l’affaire après 15 épisodes et décide de quitter le studio.

Bien sûr, il ne quitte pas non plus le studio sur un coup de tête. En fait, Yasuo Ôtsuka, qui travaille au studio Telecom Animation Film à ce moment-là, lui a passé un coup de téléphone pour lui parler d’un projet autour du célèbre gentleman cambrioleur, Lupin the Third. Donc quand Miyazaki part du studio Nippon Animation, c’est aussi pour filer jusqu’au studio Telecom Animation Film. Et c’est aussi là que toute une nouvelle aventure l’attend.

Voici la deuxième partie de mon article sur le rôle de Toshio Suzuki aux premières heures du magazine Animage. Cette fois, j’évoque le premier contact qu’il a obtenu avec Isao Takahata et Hayao Miyazaki pour préparer un dossier sur Hols, le prince du soleil. N’hésitez pas à relire l’article précédent si nécessaire en cliquant… sur cette phrase

© Hayao Miyazaki, Nausicaä de la vallée du vent, Tokuma Shoten Toshio Suzuki et le magazine Anima

Un premier contact avec Isao Takahata et Hayao Miyazaki

A Terebi Land, Toshio Suzuki s’occupe principalement de la partie manga. Et son refus vient du fait qu’il n’y connait absolument rien à l’animation (oui, on parle bien d’un des futurs plus grands producteurs de film d’animation du Japon !). Mais cela n’arrête pas Hideo Ogata pour autant. Ce dernier lui explique qu’il souhaite monter un magazine pour enfants intelligents, donc avec des articles plus fournis qu’à Terebi Land, que son fils aime les séries d’animation, et en particulier Yamato, qu’il sera en charge d’à peu près tout (même si il n’est pas rédacteur en chef au début), et qu’il peut le présenter à plusieurs amatrices d’animation pour en apprendre davantage sur ce type de média. Finalement, Suzuki accepte. Mais, ironie du sort, il n’a que trois semaines pour boucler un premier jet du magazine ! Sans perdre de temps, il part à la rencontre des femmes qui se révèlent être des amatrices éclairées. Celles-ci lui parlent d’Astroboy et de Hols, prince du soleil avec nombre de détails, et qu’elles se rendent souvent à la rencontre des créateurs de leurs personnages favoris. C’est d’ailleurs ces dernières qui incitent Suzuki à se pencher sur le film d’Isao Takahata. Et il décide d’en faire l’objet d’un de ses premiers dossiers pour le premier numéro d’Animage.

Mais comment faire ? Car même si il devine qu’il peut récupérer des informations et des images auprès du studio Tôei Dôga, il ne peut pas interviewer les personnages comme on peut le faire pour un film en prises de vues réelles.
De fil en aiguille, Suzuki finit par téléphoner à Isao Takahata. Mais bien que ce dernier soit le réalisateur de Hols, il l’invite à en discuter avec Miyazaki.

« J’ai entendu votre conversation. C’est moi qui ferais l’interview. Mais en échange, j’aimerais obtenir seize pages au lieu de huit. Pour vous parler de ce film, je dois évoquer en détail nos activités syndicales, sinon je ne pourrais pas transmettre tout ce que j’ai à dire. » (Hayao Miyazaki, Ghibli no kyôkasho 1 Kaze no tani no Nausicaä, p.47.)

Malheureusement, la requête de Miyazaki est hors de portée pour Suzuki. Ce premier contact est un véritable échec. Il se résigne et décide de récupérer des commentaires auprès de trois comédiens de doublage. Néanmoins, après une heure de discussion, la manière de parler de Miyazaki, d’évoquer les choses, tout cela l’intrigue. De plus, quand il assiste à une projection de Hols, il découvre à sa grande surprise que même si l’histoire se passe dans les pays scandinaves, le fond et les propos lui rappelle ce qu’il s’est passé au Vietnam. Mais finalement, le premier dossier Anime Encore du tout premier Animage ne s’en tient qu’à un résumé illustré du film, quelques lignes de commentaires et plusieurs croquis originaux.

Durant les premières semaines, le magazine s’écoule à 70000 exemplaires, avant de grimper très rapidement à 250000. Un tel chiffre permet à Animage de ne plus être qu’un supplément de Terebi Land, mais un magazine à part entière, et ce dès son troisième numéro.

Voila, vous en savez désormais à peu plus sur Toshio Suzuki avant qu’il ne devienne le fameux producteur du studio Ghibli, mais aussi comment le magazine Animage a été créé. Bien sûr, jusqu’aux premières idées de Nausicaä, bien des choses se passent. Comme la première rencontre entre Suzuki et les deux compères, les liens qui se créent entre eux, et leur implication de plus en plus importante dans le magazine Animage. Mais comme tout cela se rapporte à la production de Kié la petite peste et du Château de Cagliostro, je n’en parlerai pas dans cette série d’articles. Ce qui nous intéresse ici est Nausicaä, mais le chemin à parcourir est encore semé d’embûches.

Dans l’épisode précédent : Nausicaä : Toshio Suzuki et le magazine Animage (1)

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Bibliographie

  1. ジブリの教科書1 風の谷のナウシカ (Ghibli no kyôkasho 1 Kaze no tani no Nausicaä), Bunshun Ghibli Bunko, 10 avril 2013, 319p.
  2. アニメアンコール (Anime Encore (Animage #1)), Toshio SUZUKI, Tokuma Shoten, 1978.
  3. あの旗を撃て!「アニメージュ」血風録 (Ano hata wo ute! Animage keppuroku), Hideo OGATA, Oakla Shuppan, 2004.
  4. Dans le Studio Ghibli – Travailler en s’amusant, Toshio SUZUKI, Kana, 20 octobre 2011, 226p.

La couverture d’Animage est © Tokuma Shoten. L’affiche de Hols est © Tôei Dôga.

Ôten Shimokawa (ou Hekoten. Son vrai prénom est Sadanori) est un mangaka et réalisateur de film d’animation. A ce titre, il est aussi considéré comme étant le premier réalisateur de film d’animation du Japon (dans sa forme la plus moderne, donc sans parler de la proto-animation, sinon on remonte beaucoup plus loin) et l’un des trois pionniers du medium avec Jun’ichi Kôchi et Seitarô Kitayama.

Jeunesse et début dans le milieu du manga

Shimokawa est né le 2 mai 1892 à Miyakojima dans la préfecture d’Okinawa. Son père faisait parti de la première génération des proviseurs des écoles primaires du pays et travaillait à celle de la ville d’Hirara. Malheureusement, ce dernier décède en 1896, Shimokawa n’a que 4 ans. Il déménage avec sa mère dans la demeure de sa famille maternelle à Kagoshima. En 1900, son oncle qui travaille à l’armée à Tokyo décide de le prendre en charge.

En mars 1906, alors âgé de 13 ans, Shimokawa obtient son diplôme de l’école primaire de Kôjimachi et devient l’apprenti du mangaka Rakuten Kitazawa (celui là-même qui donne au manga son sens le plus moderne) en tombant sur une publicité de recrutement pour la revue Tokyo Puck. Au début Kitazawa lui fournit un toit en échange de travaux domestiques. C’est à ce moment-là qu’il commence à utiliser le pseudonyme Ôten. En 1907, sur la recommandation de Kitazawa, Shimokawa entre à l’institut d’Aoshima, mais il abandonne un an plus tard. Kitazawa l’excommunie. Pour autant, Shimokawa continue d’étudier le manga, tout seul, tout en travaillant au Ministère de l’Armée.

Imokawa Mukuzô, Ôten Shimokawa, Tokyo Puck 11 N°22, 1915.

En 1912, Rakuten Kitazawa délaisse la revue Tokyo Puck et fonde l’entreprise Rakuten Puck. A ce moment-là, il reçoit une lettre de Shimokawa. « Ce que je suis maintenant n’est pas ce que j’étais autrefois. ». En lisant cette lettre, Kitazawa lui propose de revenir. Il devient alors un employé de l’entreprise, mais aussi un mangaka à titre professionnel où il entame une carrière dans plusieurs revues, dont Tokyo Puck. C’est d’ailleurs dans cette revue qu’il publie une série de bande dessinée mettant en scène le personnage Imokawa Mukuzô. Un personnage qu’il réutilise plus tard dans plusieurs films. En 1916, il publie l’ouvrage Ponchi Shôzô à la maison d’édition Shojo Shuppan. Il est approché par une vingtaine de mangakas pour y participer, à commencer par Kitazawa, puis les célèbres Ippei Okamoto et Jun’ichi Kôchi. Cette même année, il se marie avec Tamako, sa première femme.

Un pionnier de l’animation japonaise

En 1916, un employé du studio de cinéma Tenkatsu demande à l’entreprise Rakuten Puck qu’on lui présente une personne suffisamment talentueuse pour produire un film d’animation. Et après des discussions, c’est Ôten Shimokawa qui est recommandé. Bien entendu, il accepte ce travail avec enthousiasme et signe un contrat avec le studio en échange d’un salaire mensuel de 50 yens (+ une commission).

Comme il n’a pas assez de matériel, Shimokawa commence à étudier l’animation. Il faut savoir qu’à la même époque, son ancien collègue, Jun’ichi Kôchi, a été engagé par le studio Kobayashi Shôkai, tandis que Seitarô Kitayama travaille pour le studio Nikkatsu (depuis déjà 1 ou 2 ans).

On ne connait pas tellement les détails des péripéties de cette époque, mais c’est finalement Ôten Shimokawa qui gagne la course à la production d’animation avec un premier film intitulé Dekobô Shingachô Imosuke Shishigari no maki (Imosuke le chasseur). Il est diffusé pour la première fois en salle en janvier 1917. On a souvent raconté que le premier film d’animation a été Dekobô Shingachô Imokawa Mukuzô Genkanban no Maki (Mukuzô Imokawa, le concierge, avril 1917), mais selon Frederick S. Litten, et un texte présent dans la revue Kinema Record du mois de mai 1917, Genkanban no Maki est en réalité le troisième film de Shimokawa, à une exception près. Le film Dekobô Shingachô Meian no Shippai (L’échec de la bonne idée), qui a été diffusé en février, est en fait le film intitulé Imosuke Shishigari qui a été renommé à l’occasion de sa diffusion le 1er février 1917 dans la salle de cinéma Asakusa Kinema Kurabu. Cette information apparaît dans la revue Katsudô Shashin Zasshi du mois de mars 1917. Des récentes recherches dans la plupart des anciennes revues de cinéma datant de cette époque, comme Kinema Record et Kinema Kurabu, ont permis de remettre de l’ordre dans la chronologie de l’animation (voir la filmographie de Shimokawa plus bas). Mais il se pourrait bien que d’autres titres apparaissent. Il faut savoir aussi que le grand tremblement de terre de Kantô en 1923 et les bombardements de la seconde guerre mondiale ont probablement détruits des dizaines de films et des revues. Dans cette situation, une filmographie complète ne pourra jamais exister.

Quelques mots sur les techniques employées

Affiche d’une exposition centrée sur la vie et l’oeuvre de Ôten Shimokawa qui s’est tenue à Kawasaki en 2014.

Pour parvenir à produire ce film, Shimokawa dessine à la craie blanche sur un tableau noir, une technique similaire à celle de James Stuart Blackton pour le film Humorous Phases of Funny Faces. Le dessin terminé, il en prend une photo puis efface une partie ou l’ensemble pour dessiner le dessin suivant, prendre une nouvelle photo, et ainsi de suite. Selon Nobuyuki Tsuguta (un autre chercheur sur l’animation japonaise), Shimokawa aurait utilisé cette technique jusqu’à son troisième film : Chamebô shingachô Nomi fufû shikaeshi no maki (à moins que cela ne soit le quatrième film, mais on ne sait pas vraiment).

Pour ses films suivants, Shimokawa fait imprimer une certaine quantité de décors qu’il repeint en blanc. Puis il dessine les personnages par dessus et prend chaque image en photo. La technique est assez similaire à celle qu’on utilisera plus tard, mais avec des celluloïds afin d’éviter de repeindre par dessus, et surtout, afin d’éviter d’utiliser autant de papiers. Malheureusement, l’usage fréquent de l’appareil et de son ampoule a fini par abimer ses yeux au point de le pousser à quitter le studio et le métier d’animateur seulement un an et demi après son arrivée à Tenkatsu. Ce problème est aussi le premier d’une longue liste de soucis liés à la production de l’animation japonaise.

Retour dans le milieu du manga

Cette partie est étonnamment plus complexe à écrire que je ne le pensais. Et pour cause, les informations sur sa carrière de mangaka sont encore moins connues et sont donc éparpillées n’importe comment dans les bouquins. Je préfère résumer tout ça dans un article dédié à sa carrière de mangaka afin de ne pas tout mélanger et de préserver une cohérence avec le sommaire du blog. Je posterai le lien ici quand l’article sera prêt. 🙂

Filmographie (Celle-ci est la plus complète à ce jour, publié le 10 mars 2020 dans l’ouvrage Nippon Anime Sôseiki)

Dekobô Shingachô Imosuke Shishigari no Maki Janvier 1917 Tenkatsu
Dekobô Shingachô Meian no Shippai
(on pense que c’est l’autre nom du film cité au dessus, il a été diffusé en février 1917 à Asakusa)
Février 1917 Tenkatsu
Imokawa Mukuzô Genkanban no Maki Avril 1917 Tenkatsu
Chamebô Shingachô Nomi no Adauchi
(autre nom : Chamebô Shingachô Nomi Fûfu no Maki)
21 Avril 1917 Tenkatsu
Imokawa Mukuzô Chûgaeri no Maki Mai 1917 Tenkatsu
Imokawa Mukuzô Kûkikyû no Maki 21 mai 1917 Tenkatsu
Usagi to Kamé 14 juillet 1917 Tenkatsu
Imokawa Mukuzô Chaplin no Maki 14 juillet 1917 Tenkatsu
Chamebôzu Otsuri no Maki
(aussi appelé Imokawa Mukuzô Tsuri no Maki)
9 septembre 1917 Tenkatsu
Bunten no Maki   Tenkatsu
O nabé to Kuroneko no Maki   Tenkatsu

Ressources

  1. Animated Film in Japan until 1919. Western animation and the beginnings of anime, Frederick S. Litten, 172p, Norderstedt: Books on Demand, 2017.
  2. Nippon Anime Sôseiki (にっぽんアニメ創生記, Chroniques de la naissance de l’animation japonaise), Yasushi Watanabé, Natsuki Matsumoto, Frederick S. Litten, 320p, Shûeisha, 2020.

Ressources en ligne

  1. Some remarks on the first Japanese animation films in 1917, Frederick S. Litten, Document PDF, 13p.

Nausicaä de la vallée du vent sort dans les salles obscures japonaises le 11 mars 1984. A la grande surprise de son réalisateur, Hayao Miyazaki, le film est un succès, tant et si bien qu’il permet d’aboutir à la fondation d’une structure qui deviendra peu à peu gigantesque : le studio Ghibli. Pour autant, Nausicaä n’est pas une production Ghibli, mais de Topcraft, un autre studio qui avait tout pour conquérir le monde.

© Hayao Miyazaki, Nausicaä de la vallée du vent, Tokuma Shoten Toshio Suzuki et le magazine Animage.

Pour bien comprendre la création de Nausicäa, il est d’abord nécessaire de connaître deux-trois petites choses qui vont permettre à Miyazaki d’arriver à songer à Nausicaä. Rien n’arrive vraiment au hasard dans ce milieu, et c’est en emboîtant ces petits éléments qu’un film d’envergure comme celui-ci voit le jour. De là, je dois donc présenter en premier Toshio Suzuki et son rôle dans le magazine Animage.

Magazine Animage de Janvier 1981, © Tokuma Shoten

Animage est un magazine spécialisé en animation édité par la maison d’édition Tokuma Shoten où on peut y lire l’actualité des dernières séries et des films, des dossiers et des interviews (n’hésite pas à cliquer ici pour voir le contenu d’un numéro !). En France, je pense qu’on peut le comparer à Animeland ou bien à Coyote Mag. Mais il a deux particularités majeures. La première, le magazine propose aussi du manga. Et la deuxième, la présence de Toshio Suzuki.

Si son nom vous dit quelque chose, c’est sans doute parce qu’il est l’actuel grand producteur du studio Ghibli. Mais avant cela, il est principalement rédacteur pour Tokuma Shoten. Mais alors, quel est le rapport entre Suzuki et Nausicaä ? Miyazaki aurait dit un jour que Ghibli n’aurait jamais pu venir au monde sans Toshio Suzuki (j’aime beaucoup, mais je ne trouve pas la source de cette phrase soi-disant célèbre). En somme, cette personne est très très importante en devenant un maillon entre Animage, Nausicaä et le studio Ghibli, et je vais donc vous raconter un peu son parcours chez Tokuma Shoten dans un premier temps, et son rôle aux premières heures d’Animage dans un second.

Toshio Suzuki est né en 1948 à Nagoya. Et, c’est tout… Soit je ne suis pas encore tombé sur un livre qui parle de sa jeunesse (il me semble que si, mais dans ce cas j’y reviendrai), soit il n’en a rien écrit nulle part, mais je ne peux que commencer à parler de lui qu’à partir de 1972, l’année où il sort de l’Université Keiô avec un diplôme de littérature en poche.

Magazine Comic&Comic N°7 (1973) © Tokuma Shoten

Donc, à partir de 1972, il commence à travailler pour le magazine d’art et de divertissement Asahi Geinô où il couvre l’actualité du manga, et même la page astrologie. Peu de temps après, il devient rédacteur en chef d’un supplément du magazine, le Comic & Comic (illustration à droite). C’était un magazine de prépublication de manga érotique. Sa publication ne dure qu’un an, mais elle permet à Suzuki de rencontrer plusieurs grands noms du manga comme Osamu Tezuka, Shôtarô Ishinomori, ou encore Kazuo Kamimura. Finalement, après l’arrêt de sa publication, il retourne travailler pour Asahi Geinô, mais cette fois en touchant à des sujets de fond, comme les bôsôzoku et les kamikazé. Il parle de cette histoire dans le livre Dans le studio Ghibli, travailler en s’amusant, édité en France par Kana au début des années 2010. Je le recommande chaudement. Les sujets que Suzuki traite sont un peu tendus car lui et ses amis vont à la rencontre des personnalités et ont parfois eu affaire aux yakusas et aux policiers. Quelque part, on peut voir Suzuki comme un Hunter S. Thompson japonais. Dans le livre Ghibli no kyôkasho dédié à Nausicaä, il raconte même qu’un de ses collègues est revenu dans les bureaux avec le visage ensanglanté et à écrit son article ainsi… Donc, quand en 1975 on lui offre le poste de rédacteur pour le magazine Terebi Land, c’est pour lui comme un soulagement.

Terebi Land, c’est l’ancêtre d’Animage, en moins spécialisé et plus grand public (un peu comme Animage de nos jours, finalement). Le magazine a été créé en 1973 pour couvrir l’actualité de l’animation et du tokusatsu, mais sans aller au fond des choses. Cela suffit à l’époque. Du moins, tout le monde pense que cela suffit car il se vend bien. Mais en parallèle, une série d’animation est peu à peu en train de changer la donne dans le décors visuel japonais. Elle s’appelle Uchû Senkan Yamato (Yamato, le cuirassé de l’espace). Dans un premier temps, la série ne marche pas bien, le taux d’audience est bas, si bas que la série s’achève en 26 épisodes au lieu de 39. Bref, personne ne se doute de rien. Pourtant, les fans de la série se rassemblent. Ils se rassemblent dans les conventions de science-fiction, puis au Comiket dont le premier événement a lieu en 1975. Et finalement, le Japon assiste à la naissance d’un premier mouvement pour l’animation japonaise. En août 1977, le premier film de Yamato sort au cinéma et accueille des files de spectateurs comme jamais vu jusque là pour un film d’animation.

Un cinéma qui diffuse le film de Yamato à Ginza en 1977. Photo © Shizuka Inoué

A ce moment-là, l’équipe de Terebi Land et son rédacteur en chef Hideo Ogata crée un supplément centré sur Yamato. C’est le premier numéro de la collection Roman Album. Dedans on y trouve de nombreux détails sur la production de la série avec des centaines de croquis originaux et quelques commentaires de la part des créateurs. Grâce à l’engouement des fans, ce numéro s’écoule à 400 000 exemplaires. Le succès est retentissant. Ce succès, il donne des idées à Hideo Ogata qui propose à Tokuma Shoten de lancer un nouveau mensuel spécialisé en animation pour enfants intelligents : Animage. Là, il fait appel à Toshio Suzuki, mais il refuse aussitôt…
Dans le prochain épisode : Nausicaä : Toshio Suzuki et le magazine Animage (2)

Merci d’avoir lu ! Si vous souhaitez commenter, des questions, remarques, « OMG, les fautes d’ortho ! », n’hésitez pas à m’en parler sur Facebook : https://www.facebook.com/limitedanimation. 🙂

Bibliographie
ジブリの教科書1 風の谷のナウシカ (Ghibli no kyôkasho 1 Kaze no tani no Nausicaä), Bunshun Ghibli Bunko, 10 avril 2013, 319p.
Dans le Studio Ghibli – Travailler en s’amusant, Toshio SUZUKI, Kana, 20 octobre 2011, 226p.

Ressources en ligne
https://ruhiginoue.exblog.jp/28029648/ (どうもありがとうございます!)

Les couvertures d’Animage et de Comic & Comic sont © Tokuma Shoten.

Fondé en 19771 par Toshimitsu Suzuki, le studio ARTMIC2 s’est imposé dans les années 1980 pour ses design et ses OVA à l’ambiance techno-futuristes et pop rock. C’est ici que les mecha-designer Shinji Aramaki et Hideki Kakinuma, ainsi que le chara-designer Kenichi Sonoda ont fait leur début dans le monde de l’animation. Focus.

Tout d’abord, notons qu’ARTMIC n’a jamais vraiment été un studio de production traditionnel comme Tôei Animation ou Madhouse, mais plutôt un studio de designers et de générateurs d’idées. Il y a une petite équipe d’animateurs bien sûr, mais ce n’est pas tellement ce qu’on retient dans toute l’aventure du studio. Un autre point intéressant de l’histoire d’ARTMIC, ce sont les allers et venus des designers entre les autres studios qui ont permis de préserver, sinon de créer des liens étroits avec d’autres personnalités déjà très reconnues dans le milieu de l’animation. Je pense au chara-designer Yoshitaka Amano chez Tatsunoko (que Suzuki fréquentait probablement quand il travaillait à Tatsunoko), au mecha-designer Shôji Kawamori du Studio Nue, ou encore au réalisateur Noboru Ishiguro chez Artland. C’est cette proximité qui en a fait l’un des meilleurs studios du milieu de l’OVA des années 1980.

Leur première production, le film Techno Police 21C, est une collaboration avec le studio Nue imaginée par Toshimitsu Suzuki. Initialement, Techno Police aurait dû être une série TV. Mais au bout de 4 ans, le contenu produit n’équivalait qu’à celui d’un seul épisode. Le film n’est finalement qu’un remontage un peu casse gueule de tout ce qui a été produit à droite et à gauche, et peut être perçu comme un prototype de Bubblegum Crisis.

Pour autant, ce n’est pas avec Techno Police 21C qu’ARTMIC garantit son succès, mais plutôt avec Megazone 23. Le premier OVA, réalisé par Noboru Ishiguro (Artland) en 1985, consolide définitivement les fondations du média vidéo entamé par Dallos deux ans plus tôt.

Il y aurait beaucoup à dire sur Megazone 23. Notamment sur le fait qu’il ouvre la voie au genre cyberpunk dans l’animation, sur ses inspirations et ses influences, de Macross à Blade Runner, on pourrait également penser aux nombreuses similitudes avec le futur Matrix (bien que les soeurs réalisatrices disent bien qu’elles ne l’ont jamais vu avant la prod’ du film dans une interview ici. Mais je comprends tout à fait qu’on puisse en douter). Son équipe, issue de la partie Artland de Macross, collabore avec eux en reprenant des idées de Mospeada. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que Macross, Mospeada et Megazone 23 (sans oublier Orguss) forme ce monstre bizarroïde tout droit sorti d’un autre système : Robotech. Tout cela mériterait bien plus qu’un simple paragraphe, sinon on s’y perdrait très vite.

Psycho Police 21C & Megazone 23 / © Tatsunoko, Studio Nue, Artland, ARTMIC

Entre ces deux productions, ARTMIC a donc travaillé sur la série Genesis Climber Mospeada. Sauf erreur, il s’agirait d’une idée de Shinji Aramaki et de Hideki Kakinuma qui désiraient produire une vision SF du débarquement de Normandie. Ils sont d’ailleurs les mecha-designers attitrés du show. Là encore, c’est une collaboration avec Tatsunoko et Yoshitaka Amano. Mais ce que je n’arrive pas encore à expliquer, c’est le choix de Katsuhisa Yamada au poste de réalisateur en chef. Peut-être la perte soudaine de son emploi après la fermeture de Topcraft ? Je cherche encore, mais n’hésitez pas à me le faire savoir si l’un d’entre vous à la réponse.

On en vient ensuite aux franchises Gall Force et Bubblegum. Celles-ci mettent en relief le travail de Kenichi Sonoda, dont les filles très énergiques et sexy ont fait de lui l’un des chara-designer préférés des otakus. Chacune d’elles comporte leur lot de suites et de spin-off qui ont, là encore, marqué définitivement l’histoire de l’OVA de science-fiction. Tout comme Megazone 23, ces franchises ont beaucoup à raconter, aussi je ne m’étalerai pas plus ici.

Gall Force / © ARTMIC, AIC

On peut aussi constater le lien très étroit entre ARTMIC et les magazines pour otaku et amateurs de maquette pro-Bandai : B-Club, Model Graphix et Hobby Japan. Outre Gall Force, dont l’histoire initiale a été publiée dans Model Graphix, c’est dans ces magazines qu’on pouvait découvrir à l’avance une majorité de leur croquis préparatoires. D’une certaine manière, c’est aussi cette forme de publicité qui a permis au marché vidéo de prospérer. Mais il est évident que c’est plus souvent avec ces trois magazines qu’avec Animage qu’ARTMIC s’est fait connaître.

Une autre personnalité à évoquer est sans doute Makoto Kobayashi, et en particulier son Dragon’s Heaven, une oeuvre très inspirée par l’univers de Mœbius. Dragon’s Heaven n’était à l’origine qu’une petite idée que Kobayashi a présenté à Bandai. Intéressé, ce dernier lui propose de réaliser une maquette du robot. Cette histoire a débuté avant la diffusion de Macross en 1982, mais celle-ci a finalement chamboulé les perspectives et tout le monde ne jurait plus que par le robot transformable. Badai a ainsi proposé à Kobayashi de revoir son robot pour qu’il puisse se transformer, mais cela n’a pas fonctionné et son projet a été annulé. Celui-ci refait surface quatre ans plus tard quand la rédaction du magazine Model Graphix l’appelle pour lui proposer de dessiner un manga. Il n’a que deux semaines car il doit remplacer un autre mangaka, aussi il reprend en vitesse ses idées de Dragon’s Heaven pour en faire une véritable publication mêlant à la fois dessin, maquette et photo-montage. Je m’arrête là pour la conception de l’oeuvre, mais j’essaierai de présenter l’ouvrage dans un prochain article. Et bien entendu, si j’en parle c’est parce que Dragon’s Heaven a aussi été adapté en OVA par ARTMIC et AIC en 1988.

Dragon’s Heaven / © Makoto Kobayashi, ARTMIC & AIC

Dans le courant des années 1990, le Japon connait l’éclatement de sa bulle économique. En plus de devoir tout miser sur LE titre a succès permettant sa survie, ARTMIC a connu des soucis financiers avec la société Youmex. Alors en faillite, le studio doit fermer ses portes en 1997. Les droits de l’ensemble de leur catalogue sont ensuite récupérés par AIC (Anime International Company), société avec qui ARTMIC collabore depuis 1992. Malgré ça, le studio ARTMIC résonne encore dans le cœur des fans de leurs productions, même dans ceux qui les ont découvert bien longtemps après. Les histoires, les design des robots, l’ambiance de chaque OVA a su influencer tant d’autres créateurs comme Mœbius avait su le faire en son temps (et Metal Hurlant dans une plus large mesure). C’est en cela qu’il est, pour moi, l’un des plus grands studios des années 1980.

Je pourrais m’étaler plus ou moins longuement sur chaque production d’ARTMIC, et je constate que l’article est déjà bien trop long comme ça, donc je songe a explorer quelques détails différemment. L’ébauche de l’article était clairement moins volumineux quand j’ai commencé à l’écrire il y a deux semaines, mais ça commence sérieusement à devenir complexe d’assembler les pièces du puzzle. Promis, j’y reviendrai, mais reste à savoir quand…

Productions (ébauche)

1982 Techno Police 21C Film En collaboration avec le studio Nue.
1983 Genesis Climber Mospeada Série TV En collaboration avec le studio Tatsunoko.
1984 Chôkôsoku Galvion Série TV Le logo de la série est signé Gaku Miyao.
1985 Genesis Climber Mospeada: Love Live Alove OVA En collaboration avec le studio Tatsunoko.
  Megazone 23 OVA En collaboration avec AIC.
1986 Wannabe’s OVA  
  Megazone 23 Part II OVA En collaboration avec AIC.
  Gall Force Eternal Stories OVA  
1987 Bubblegum Crisis OVA  
  Gall Force 2: Destruction OVA  
  Katte ni Shirokuma    
  Metal Panic Madox-01 OVA  
  Daigaioh OVA  
1988 Dragon’s Heaven OVA  
  Hades Project Zeorymer OVA Production d’animation uniquement
  The Ten Little Gall Force OVA  
  Gall Force 3: Stardust War OVA  
1989 Riding Bean OVA  
  Rhea Gall Force OVA  
  Megazone Part III OVA  
  Gall Force Chikyû shô OVA  
1990 A.D. Police OVA  
  Bôken Iczer 3 OVA  
  The Hakkenden OVA  
1991 Bubblegum Crash OVA  
  Detonator Orgun    
  Gall Force: Shin Sekai-hen OVA  
1992 Sôsei Kishi Gaiarth OVA  
  Scamble Wars OVA  
1993 Casshern OVA  
1994 Genocyber OVA  
  Gatchaman OVA Series Composition, Collaboration avec Tatsunoko
1995 Bishôjo Yûgekitai Battle Skipper OVA  
1996 Power Dolls OVA  
  Gall Force: The Revolution OVA  

Notes diverses

  1. Comme l’indique Pink Platypus en commentaire, l’année de la création d’ARTMIC serait 1977 selon l’artbook Artmic Design Works (p.149), mais il est écrit 1978 sur wikipedia (anglais comme japonais).
  2. Son nom a été changé en Wiz Corporation en 1980, mais il a repris son nom initial l’année suivante.

Ressources en ligne

  1. Anime Archeology: Kichijoji’s ARTMIC Building, Sean O’mara, 12 déc. 2016. (en anglais)

Bibliographie

  1. The Anime Encyclopedia, 3rd Revised Edition: A Century of Japanese Animation (en anglais)
  2. Artmic Design Works (B-Club Special) (en japonais)
  3. B-CLUB #29 (en japonais)

Le layout est un document interprétant un plan du storyboard, accompagné ou non d’un ou plusieurs éléments issus des bibles des croquis (settei). Il donne des instructions aux animateurs et aux décorateurs, avec un système de cadres définissant le positionnement des éléments dans le décor, leurs mouvements et les mouvements de caméra. En général, le layout a la dimension d’une feuille A4, mais il peut avoir des dimensions beaucoup plus importantes, parfois plusieurs feuilles scotchées les unes aux autres avec un décor gigantesque. Le layout est généralement dessiné par un animateur qui s’occupe ensuite des poses clés du plan en question.

layout mononnoke ghibliUn layout du film Princesse Mononoké. ©Studio Ghibli

Cette intro est à l’origine une description présentée dans mon mémoire de M1 en 2014. Entre temps, j’ai pu découvrir de nombreux autres détails sur les layout et leurs fonctionnalités en discutant avec des animateurs et en lisant plusieurs ressources. Revoyons tout ça.

A quoi ressemble un layout ?

Selon le site de l’AJA, une feuille de layout (layout yôshi) est blanche, d’une taille A4, avec un ou plusieurs cadres internes en pointillés de différentes tailles qui s’accordent aux tailles standards des écrans de télévision ou de cinéma.
Le cadre interne en trait plein noir mesure (à peu de chose près) 25,4cm:14,28cm (soit 16:9). Quant aux autres cadres en pointillés, celui le plus à l’extérieur est un scan frame. C’est généralement le cadre à ne pas dépasser, mais certains artistes ne s’en soucient pas. Enfin, même si il n’apparaît pas sur l’illustration, on peut parfois voir un cadre en pointillé à l’intérieur du cadre en trait plein. Ce dernier est un cadre de sécurité (anzen frame) qui fixe une marge de sécurité vis-à-vis des différents standards des écrans de télévision.

Bien sûr, il existe des variations comme on peut le voir avec le layout de Princesse Mononoké au dessus qui est nettement plus allongé, ou bien celui de Akagé no An plus bas dont le format télévisuel standard à cette époque était le 4:3. Tout dépend donc du studio, du format du sujet et de l’époque.

layout aja

Tout en haut du layout, nous pouvons voir une #, la lettre C et le mot TIME.
Le C indique le numéro de la séquence, ou cut en anglais, de l’épisode #. Sur d’autres layout, le # est absent, ou bien y trouver un S en bonus. Le S indique la scène entière qui est composée de plusieurs séquences.
Quant à TIME, il s’agit de la durée (en seconde) de la séquence en question. Et enfin le + indique le temps additionnel imprévu.
Par exemple, si on regarde encore une fois le layout de Princesse Mononoke, nous avons C 730 et Time (5+0). On comprend alors qu’il s’agit de la séquence 730 du film et qu’elle dure 5 secondes avec aucun temps additionnel.

Enfin, chaque studio pose son nom ou son logo à droite ou gauche. Studio Ghibli dans le cas de Princesse Mononoké, Nippon Animation dans le cas de Akagé no An.

layout akage no an nippon animationLayout de l’épisode 9 de la série Akage no An. ©Nippon Animation.

Le layout system, comment ça marche ?

La création des layout est une étape très importante. D’après plusieurs exosquelettes de production d’une animation (et malgré quelques variations), elle est la première étape de la deuxième des trois grandes phases de production entre l’étape du storyboard et la création des animations-clés. Le layout est dessiné à partir du storyboard, et les animations-clés sont dessinés à partir du layout. Ce passage de l’un à l’autre s’opère selon un layout system.
Néanmoins, depuis quelques années maintenant, ce layout system a subit quelques modifications et se produirait parfois en même temps que le premier travail d’animation-clé (Genga/Key Animation -> Rough Layout), et le rôle de Second KA/Genga qui serait désormais similaire à l’ancien rôle de l’animateur-clé, mais je n’ai pas encore assez de détails pour l’exprimer convenablement.

Ce layout system est important car, même si le storyboard renseigne déjà beaucoup d’informations, le layout permet d’obtenir une structure et une vue d’ensemble plus grande, d’y voir les personnages, les informations sur leurs mouvements, le décors en détail et son équilibre, la source de la lumière ou du vent, les effets spéciaux, ou encore les informations sur le mouvement de la caméra, l’angle des personnages, le tout en une seule image.

Qui dessine ? Le plus souvent, les animateurs-clés. Une fois que le réalisateur leur a attribué les scènes du storyboard (il arrive aussi que les animateurs-clés les choisissent), ces derniers dessinent une première version des layout à partir des indications. Une fois dessinés, le réalisateur (ou le directeur technique dans le cas d’une série TV) ou le directeur de l’animation vérifie leur cohérence. Si jamais il y a des défauts, ils apportent des corrections, ou redessine tout (si ils ont le temps), sur une feuille de layout colorée. Selon les corrections à apporter, ils peuvent être retournés à l’animateur-clé qui doit alors redessiner le layout pour de bon. Bien sûr, si le layout n’a pas de défaut, cette dernière étape n’est pas nécessaire.
Enfin, cas particulier, si le réalisateur est doué en dessin, il peut également les dessiner ou les redessiner lui-même, comme le fait Hayao Miyazaki.

Un peu d’histoire

Le layout system n’est pas apparu dès les premières heures de l’animation japonaise. En fait, cette étape a été consolidée et popularisée assez tardivement, aux alentours de 1974 lors de la création de la série Heidi, petite fille des Alpes. Sous la direction d’Isao Takahata, Hayao Miyazaki a redessiné les plans du storyboard avec le maximum de détails possible issue de la bible des croquis (settei) de la série, tels les décors, les personnages et les objets. Miyazaki dessinait plus de 300 layout et des croquis d’animations-clés par épisode chaque semaine. Grâce à cette nouvelle méthode, bien que fastidieuse, Isao Takahata pouvait déjà se faire une idée de sa réalisation avant que les animateurs ne commencent à dessiner les clés et les intervalles. Désormais, la plupart des studios passent par cette étape.

layout heidi hayao miyazakiLayout de Heidi, épisode 5, cut 232. ©Zuiyô Eizô ©Nippon Animation

Certe, La série Heidi peut être considérée comme un tournant majeur dans l’histoire de la production d’animation. Mais comme l’indique le compte-rendu d’une conférence sur l’histoire des layout (donnée par le syndicat JAniCA en 2015) et les détails évoqués par Yasuo Ôtsuka dans l’ouvrage Studio Ghibli Layout Designs, il existerait des traces de ce qu’on peut désormais appeler les prémisses des layout, et cela depuis la production du film Hakujaden en 1958, et aussi pendant le court-métrage Koneko no Studio (1959) de Yasuji Mori. Mais au départ, les indications sur la position des éléments et des personnages figuraient directement dans les espaces blancs sur ce qui s’apparentait à un storyboard (e-konte en japonais, celui d’Hakujaden a été dessiné par le mangaka Kazuhiko Ôkabe avant d’être repris et modifié par Daikuhara et Mori).
Après quoi, le premier tournant majeur de la forme du layout intervient pendant la production du film Hols, le prince du soleil de Isao Takahata. Si le film a connu une production hasardeuse et a fait un terrible flop au cinéma, il n’en reste pas moins l’un des films les plus innovant de toute l’histoire de l’animation japonaise. (partie en cours d’écriture/mise à jour…)

Cas particuliers

Plus haut, je mentionne des cas particuliers par rapport aux formats du film ou de la série, donc il n’est pas nécessaire de revenir dessus. Mais il en existe un autre où la vue d’ensemble de la scène est plus grande que le cadre de la télévision ou de la toile. Cela intervient quand la caméra doit se déplacer horizontalement, verticalement ou bien en diagonal, ou encore si il faut zoomer ou dézoomer. Pour bien l’expliciter, les animateurs-clés ou le réalisateur n’hésitent pas à scotcher plusieurs feuilles de layout ensemble. Le résultat est parfois très impressionnant.

layout gundam sunriseLayout (en bas) de la série Mobile Suit Gundam + cellulo en haut. ©Sunrise
layout chihiro ghibliLayout du film Le voyage de Chihiro. ©Studio Ghibli
layout daiconCelle-ci vient du court-métrage Daicon 3 qui sert d’introduction à la convention de science-fiction Daicon 3 à Ôsaka. Il s’agit d’un autre cas particulier, signé DAICON FILM, un cercle amateur de la jeunesse d’Hideaki Anno. Tout a été dessiné sur des feuilles ordinaires sans aucun cadre particulier. ©DAICON FILM
Dr. Slump, épisode 89, cut 107. Ici on peut voir la forme d’un ancien cadre de télévision, avec les bords arrondis. ©Sunrise

Bibliographie

  1. アニメーション用語事典 (Animation yôgo jiten, Animation terminology dictionnary), 一般社団法人日本動画協会人材育成委員会, Rittôsha, 21/02/2019.
  2. スタジオジブリレイアウト展 (Studio Ghibli Layout Designs), Studio Ghibli, 2008.
  3. アニメーションノートN°01 (Animation Note N°01), Seibundô shinkôsha, 12/2005.

Ressources en ligne

  1. https://aja.gr.jp/jigyou/chousa/aja_layout
  2. http://www.madhouse.co.jp/special/oginyan/oginyann_01_a.html
  3. http://www.furansujinconnection.com/les-etapes-de-fabrication/ (aller jusqu’à la partie Genga / Layout+Poses-clés
  4. JAniCA主催『レイアウトの歴史講座』(Conférence sur l’histoire des layout, organisé par JAniCA), 31/01/2015
  5. Création et coopération: l’étape du layout dans la production d’animation traditionnelle, Marie Pruvost-Delaspre, Création Collective au Cinéma, 2019.

Le plus gros du sujet est écrit, mais j’aime bien repasser dessus pour peaufiner les détails, ajouter ou réécrire des passages, corriger des fautes… Si vous avez des questions, n’hésitez pas à m’en parler sur Facebook : https://www.facebook.com/limitedanimation

Dernière MaJ : 9 octobre 2019 – 2 février 2021

Le film de Sunao Katabuchi fait parler de lui en France en ce moment. Du coup j’en profite pour poster quelques photos d’une petite expo d’images originales tenue dans le cinéma Theatre Shinjuku en décembre dernier. Outre ces images, on pouvait aussi y voir quelques objets utilisés pendant l’ère Shôwa.

Quant à mon ressenti, si j’aime l’ensemble du film, j’apprécie tout particulièrement une scène d’explosion vers la fin. Je trouve cette scène fatidique à la fois horrible et triste, mais menée avec suffisamment d’imagination pour ne pas la rendre trop choquante pour les enfants. (En tout cas, nettement moins choquante que le Pikadon de Renzo Kinoshita. Celle ci hante encore mes cauchemars…). J’aimerais bien comprendre comment Katabuchi est parvenue à ce résultat. Je songeais au point de vue de l’héroïne à partir d’une description d’une victime d’une bombe, sinon de La bombe. En tout cas, cette scène me vient en tête chaque fois que je repense au film, si bien que j’aimerais aussi l’étudier sur le plan technique.

Allez, place à l’expo !

Pour info, ce magazine s’appelle Fujin Club (Le club des femmes). Il est publié pour la première fois en 1920, avec une interruption en 1945. Je n’ai guère besoin de mentionner son lectorat, mais au moins son slogan : Onna no yorokobi, tsuma no shiawase : Le plaisir d’être une femme, le bonheur d’être une épouse. (On est pas là pour polémiquer…). Le magazine prépublie des romans et des essais. On y trouve Yayoi Yoshioka parmi ses auteur(e)s, elle s’est longuement battue pour le droit des femmes, est devenue la 27e femme médecin du pays, ouvert son école de médecine à Tôkyô, préconisé l’importance de l’éducation sexuelle, et participé au mouvement Clean Elections amenant au droit de vote des femmes japonaises. A ses côtés se trouve un certain Ryûnosuke Akutagawa, romancier et suicidaire… Fujin Club est l’un des quatre plus grand magazine pour femme d’avant-guerre aux côtés de Fujin Gahô, Fujin Kôron et Shufu no Tomo.

Le fameux Prix de la Paix du festival international du film d’animation d’Hiroshima.

Edit du 19 janvier 2021 : Ajout de l’article sur limitedanimation.net. Les images redirigent vers mon ancien blog.